Introduction
Parce qu’elle « … ne cesse d’interroger, de passionner, de révolter ou d’agacer »
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, la question de la justice militaire demeure toujours sensible et actuelle
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. Le cas du Cameroun interpelle naturellement la doctrine interne
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et externe
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qui en dénonce les dérives
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, quand elle ne la qualifie pas tout simplement de justice de privilège
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. Rendue au nom du peuple camerounais, cette dernière procède d’une législation sécrétant un
*
* Docteur Ph.D en Droit Privé, Enseignante-Chercheuse à l’Université de Yaoundé II, B.P. 18 Soa, Tél 237 77 36 06 98, Email nancyeloubwe@yahoo.fr.
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B. Battais, La justice militaire en temps de paix : l’activité judiciaire du conseil de guerre de Tours (1875-1913) (Angers, Université Nantes, 2015), p. 63.
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C. Callejon, « Les principes des Nations Unies sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires : pour une justice militaire conforme au droit international », Droits fondamentaux, n°6, janvier-décembre 2006, p. 2.
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J. Ch. Bilobe Ayissi, La justice militaire au Cameroun français : compétence, organisation et fonctionnement de 1916 à 1960 (Mémoire de Master, Université de Yaoundé I, 2014) ; B. M. Kem Chekem, « La répression des infractions relevant des tribunaux militaires dans le nouveau Code de justice militaire au Cameroun », Juridis Périodique, n° 115, juillet-août-septembre 2018, pp. 111-124.
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E. Lambert Abdelgawad, « Introduction générale », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales (UMR de droit comparé, Université de Paris 1, Panthéon-Sorbonne – CNRS, mai 2007) pp. 6-7 ; R. Garreton, « La compétence des Tribunaux militaires et d’Exception - Rapport de synthèse », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, p. 19 ; G. Giudicelli-Delage, « Les garanties procédurales et le droit au recours - Rapport de synthèse », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, pp. 25-38.
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F. R. Bikié, « Le droit pénal à l’aune du paradigme de l’ennemi : Réflexion sur l’Etat démocratique à l’épreuve de la loi camerounaise n° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme », La Revue des droits de l’homme, 23 décembre 2016,
http://revdh.revues.org/2789, p. 14.
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S. Thenault, « Les Tribunaux militaires et Juridictions d’exception : lutte contre l’impunité- Rapport de synthèse », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, p. 42.
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droit pénal militaire
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défini de manière lapidaire comme le droit criminel s’appliquant aux militaires
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et assimilés
9.
En dépit de la raison d’Etat qui sous-tend encore son domaine, le droit pénal militaire camerounais n’évolue pas moins dans une société démocratique
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. Et comme tel, il est appelé à faire sien ses exigences, parmi lesquelles le principe de la légalité criminelle, l’attachement aux droits de l’homme, la nécessité d’un procès équitable, les garanties des droits de la défense et les droits des victimes
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. L’activité législative est plus que jamais interpellée à cet égard
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.
Aussi, une histoire de cette législation doit d’abord être présentée dans ces étapes les plus significatives
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. A ce propos, la législation militaire camerounaise nait (du moins dans le Cameroun Oriental) avec la juridiction militaire française implantée à Dakar, dont le texte de création fut étendu à ce pays de l’Afrique centrale. Ce n’est qu’en 1959 qu’une législation propre à ce pays va être rendue applicable. Il s’agit de l’ordonnance n°59-91 du 31 décembre 1959 relative à l’organisation, à la compétence et au fonctionnement des juridictions militaires
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, laquelle sera étendue trois jours après la réunification au Cameroun Occidental, par une ordonnance du 4 octobre 1961. Puis interviendra l’ordonnance n°72/05 du 26 août 1972 portant organisation judicaire militaire de l’Etat, véritable code de justice militaire, puisque c’est ce texte qui sera maintes fois retouché en fonction des circonstances
15
. Sept ans après la modernisation de l’armée opérée en
7
Il est possible de parler d’un véritable droit militaire tant sur le plan substantiel que processuel, intégrant des considérations personnelles et fonctionnelles. Toutefois, la question est de savoir s’il s’agit d’un droit pénal spécifique ou d’un droit pénal mixte. Il faut néanmoins reconnaitre qu’il s’agit d’un droit pénal complexe. Dans le cadre ce travail, l’accent sera mis sur ses dispositions pénales de fond et de forme qui s’appliquent indifféremment aux personnes militaires et civiles, et sans tenir compte des circonstances de paix et de crise.
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Le terme « militaire » n’est pas défini par la loi, qui selon M. Kem Chekem, identifie celui qui est militaire par énumération et semble créer de la confusion dans certains corps de l’armée ; de même, elle semble exclure le corps national des sapeurs-pompiers de sa liste. Voir B. M. Kem Chekem, « La répression des infractions relevant des tribunaux militaires dans le nouveau Code de justice militaire au Cameroun », supra note 3, pp 113-114.
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Avec l’ordonnance n°59-91 du 31 décembre 1959 relative à l’organisation, à la compétence et au fonctionnement des juridictions militaires, le personnel assimilé aux militaires était désigné par décret (article 13 alinéa 2).
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Mme E. Lambert Abdelgawad affirme d’ailleurs que la démocratisation des juridictions militaires est le corollaire de la démocratisation du régime politique. E. Lambert Abdelgawad, « Introduction générale », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, p. 10.
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Le Professeur E. Decaux, rappelait à propos que la justice militaire ne saurait s’affranchir du respect des principes de la bonne administration de la justice et du procès équitable. Voir. E. Decaux, « Quatrième session : La compétence matérielle des juridictions militaires », in Expert Consultation on human rights consideration relating to the administration of justice through military tribunals and the role of the integral judicial system in combating human rights violations, Genève, 24 novembre 2014, p. 9. Sept années plutôt, il affirmait que : « Les juridictions militaires ne sont pas un monde à part, expédient et expéditif, au-dessus
des lois, hors du droit commun, une justice d’exception, sans contrôle ni contrepoids, ouvrant la porte à tous les abus et n’ayant plus de “justice” que le nom….». E. Decaux, « La dynamique des travaux de la Sous-Commission des droits de l’homme et la position des Etats », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, p. 67.
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A ce propos, la mise en garde du Professeur Emmanuel Decaux doit servir de boussole au législateur camerounais : « On ne doit pas codifier pour le meilleur, encore moins pour le pire, ni se focaliser sur l’actualité immédiate. Il s’agit de définir un archétype, un modèle idéal, tout en tenant compte des réalités les plus contradictoires, sans jamais fermer la porte aux évolutions ». E. Decaux, « Conclusions », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, p. 112.
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Pour les détails, voir C. W. Pefole Fotsing, La réinstitution du juge d’instruction en procédure pénale camerounaise, (Mémoire de Master, Université de Dschang), 2011, pp 1-20 ; B. M. Kem Chekem, « La répression des infractions relevant des tribunaux militaires dans le nouveau Code de justice militaire au Cameroun », supra note 3, pp 111-112.
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La justice militaire au Cameroun existe depuis l’accession de ce pays à l’indépendance. Un pays comme le Niger en a été dépourvu jusqu’en 2003, les infractions militaires du CJM du Niger relevant des juridictions ordinaires. Voir sur la question N. Oumarou, « Brèves réflexions sur la Loi portant Code de Justice militaire de la République du Niger », Revue électronique de l’AIDP, 2009, pp. 1-2.
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Elle le sera par l’ordonnance n°72/20 du 19 octobre 1972 complétant les dispositions relatives à la compétence de la juridiction militaire ; par la loi n°87/009 du 15 juillet 1987 modifiant l’ordonnance n°72/05 ; par la loi n°90/48 du 19 décembre 1990 modifiant
encore la précédente ordonnance ; par la loi n°97/008 du 10 janvier 1997 portant modification de certaines dispositions de la même ordonnance et par la loi n°98/7 du 04 avril 1998 procédant de la même manière que la précédente loi.
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2001
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, la loi n°2008/015 du 29 décembre 2008 portant organisation judiciaire militaire et fixant des règles de procédure devant les tribunaux militaires, qu’on peut qualifier de « premier code de la justice militaire de la République du Cameroun », entrera en vigueur. Elle cèdera la place à la loi n°2017/012 du 12 juillet 2017 portant Code de Justice Militaire (CJM) qui régit désormais l’activité judiciaire militaire au Cameroun.
Une analyse des finalités du droit pénal militaire doit ensuite être déroulée, parce qu’à travers elle se dévoile l’essence du droit pénal militaire camerounais. Etant un droit de discipline
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ou de rigueur, le droit militaire a toujours été au service de la politique étatique
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et par lui, elle transmet un message à la population, à la communauté internationale et à ses ennemis. Au Cameroun, le droit pénal militaire a participé, comme tous les autres pans de la législation, à l’œuvre de construction nationale au service du développement des jeunes Etats indépendants
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. Il a été utilisé aux fins de moralisation de la conscience publique à travers entre autres le nettoyage du phénomène du grand banditisme. Il a servi d’outil à la prise de conscience démocratique par le biais du multipartisme. Il prétend participer à la protection des droits de la défense. Aujourd’hui, il réclame la casquette de droit « militaire humanitaire ».
C’est pourquoi une confrontation de la législation pénale militaire camerounaise doit enfin être faite avec les recommandations des Nations Unies, notamment celles de la Sous-Commission pour la promotion et la protection des droits de l’homme
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, appelées « Principes Decaux »
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, proposées pour améliorer l’administration de la justice militaire à travers le monde.
Celles-ci permettent de connaitre la position du législateur camerounais sur la question antinomique du maintien
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ou de la suppression des juridictions militaires
23
, mais surtout celle du choix opéré entre la
16
Assemblée Nationale – République du Cameroun, Projet de loi n°1010/PJL/AN portant code de justice militaire, 9e législature, Année législative 2017, 2ème session ordinaire, n°080/AN/9, juin 2017, p. 1 ; Assemblée Nationale –République du Cameroun, Rapport de la Commission de la Défense Nationale et de la Sécurité sur le projet de loi n°1010/PJL/AN portant code de justice militaire, n°089/R/AN/9, juin 2017, pp 2-3.
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Au Cameroun, il existe un instrument juridique régissant la discipline au sein des forces de défense. Il s’agit du Décret n°2007/199 du 07 juillet 2007 portant règlement de discipline générale dans les forces de défense.
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Le sujet de mémoire de M. Jean Bernard Eva Oyono est clair à ce sujet. J. B. Eva Oyono, Le tribunal militaire au Cameroun : une juridiction à compétence spéciale résolument au service de l’Etat, (Mémoire de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature, Auditeur de Justice), 2013-2015.
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Ce droit volontariste n’est pas propre au droit pénal militaire. Sur la question en général, voir A. Minkoa She, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun (Paris, Economica, Collection « La vie du droit en Afrique », 1999) pp. 6-7.
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Voir F. Andreu-Guzman, « Les Tribunaux militaires et les Juridictions d’exception dans le système onusien des droits de l’homme », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, pp. 77-108.
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Au nombre de 20, ces principes ont été élaborés par le Professeur E. Decaux alors rapporteur à la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme des Nations Unies en 2005. Voir Annexe n°2, Projet de principes sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires – Document E/CN.4/2006/58 du 13 janvier 2006 in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, pp. 121-126. Il ne s’agit plus tout à fait de simples déclarations de principes mais de recommandations qui sont de plus en plus prises en compte par le juge, notamment celui de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Voir C. Callejon, « Les principes des Nations Unies sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires : pour une justice militaire conforme au droit international », supra note 2, p. 16. Il faut dire qu’une étude a été réalisée dans ce sens, mais bien avant l’entrée en vigueur du nouveau Code de justice militaire issu de la loi la loi n°2017/012 du 12 juillet 2017. Voir G. Giudicelli-Delage, « Les garanties procédurales et le droit au recours - Rapport de synthèse », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, pp. 25-38.
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Trois arguments sont avancés quant au maintien des juridictions militaires qui sont les raisons de nécessité, les justifications institutionnelles et les raisons fonctionnelles. C. Callejon, « Les principes des Nations Unies sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires : pour une justice militaire conforme au droit international », supra note 2, pp 4-5.
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23
La question n’est pas nouvelle ni propre au contexte camerounais. Voir B. Battais, La justice militaire en temps de paix : l’activité judiciaire du conseil de guerre de Tours (1875-1913), supra note 1, pp 51-61 et p. 105. Toutefois, la
tendance est à la suppression des juridictions militaires en temps de paix. Lire sur la question, E. Decaux, « Quatrième session : La compétence matérielle des juridictions militaires », supra note 11, pp 1-9 ; P Drossens, C. Martens et D. Picron, Guide de sources des juridictions militaires (Bruxelles, Archives Générales du Royaume, 2015) p. 8.
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normalisation
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ou la spécialisation
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des juridictions militaires. Si la réponse à la première préoccupation ne fait pas de doute, à savoir que ce dernier n’a jamais envisagé l’hypothèse de la disparition du tribunal militaire
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, la seconde suscite quant à elle des éclaircissements et constitue le fond de cette recherche.
Elle invite à analyser le processus des réformes de la justice militaire camerounaise dont on connait certes le point de départ en ce qu’elle n’a pas promu les tribunaux militaires au rang des juridictions ordinaires dont ils appliquent en partie les règles les régissant. Le point d’arrivée est quant à lui incertain dans la mesure où si la législation actuelle dit de ces tribunaux qu’ils sont des juridictions à compétence spéciale, la frontière de démarcation avec les juridictions d’exception
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n’est en revanche pas rigoureusement établie. En effet, certains mécanismes inconnus de la législation de droit commun, ont droit de cité dans la
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D’après le Dictionnaire des Synonymes Larousse de 2007, la normalisation se rattache à la régulation, à la standardisation, à la rationalisation et au rétablissement, termes qui ne peuvent pas totalement traduire l’idée que nous voulons exprimer ici. Il faut en revanche trouver dans le même document le sens recherché dans le mot « normal » qui signifie entre autres « naturel », « ordinaire ». On peut donc dire que la normalisation est le mécanisme de transformation d’une chose particulière en une chose normale. En d’autres termes, il s’agit de rendre ordinaire ce qui ne l’est pas. Dictionnaire des Synonymes E. Genouvrier (dir.), (Paris, Larousse, 2007) pp. 542-543. Il s’agit en fin de compte de banaliser la justice militaire pour répondre au vœu de certains spécialistes de la question de la justice militaire dont MM. Louis Joinet et Emmanuel Decaux. Voir E. Decaux, « La dynamique des travaux de la Sous-Commission des droits de l’homme et l’évolution de la position des Etats » in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, pp. 66-67. Appliqué à la justice militaire, la normalisation renvoie au processus d’édiction et de mise en œuvre des règles pénales ordinaires de fond et de forme issues de la justice civile afin de transformer la première en totalité (dans ce cas on aboutit à la disparition de la justice militaire) ou en partie (dans cette hypothèse, on assiste à la coexistence justice militaire-justice ordinaire). C’est cette dernière qui prévaut en droit positif camerounais. Sur le plan de la technique législative, la normalisation de la justice militaire au Cameroun obéit à deux mouvements existants dans le CJM : soit le législateur incorpore directement les règles de la justice ordinaire (voir l’article 7 alinéa 2 (a) qui dispose que les affaires correctionnelles et de simple police sont jugées par un seul magistrat) dans le CJM, soit il procède par renvoie au CPP camerounais (voir article 13 alinéa 5 du CJM qui prévoit que les règles de la constitution de partie civile sont celles en vigueur dans le CPP).
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Selon le Dictionnaire Le Nouveau Petit Robert, la spécialisation est le fait de se spécialiser dans un domaine de la connaissance ou peut être entendue comme une formation permettant d’acquérir des connaissances particulières. Le Nouveau Petit Robert – Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, J. Rey-Debove & A. Rey (dir.) (Paris, Robert, 2008). Le sens que nous donnons à ce mot dans le présent travail, n’est totalement pas éloigné de la définition ordinaire dans la mesure où, couplé à la justice militaire, ce terme veut simplement traduire l’idée d’une attribution croissante de certaines matières pénales spécifiques au tribunal militaire au détriment de la justice civile, au point d’en faire un tribunal hors du commun.
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C’est aussi ce qui ressort du Séminaire de Droit militaire et de Droit de la Guerre tenu en Grèce en 2001. Voir Rapport du Séminaire de la Société Internationale de Droit militaire et de Droit de la Guerre, La juridiction militaire, Rhodes (Grèce), 10-14 octobre 2001, Journée d’étude du 23 novembre 2001 pp. 1-45. Pour Mme Claire Callejon, son identification est d’ailleurs complexe et montre que la juridiction militaire n’est pas seulement celle qui est composée exclusivement ou à majorité de juges relevant de l’armée. Voir C. Callejon, « Les principes des Nations Unies sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires : pour une justice militaire conforme au droit international », supra note 2, p. 3. Toujours est-il qu’au Cameroun, la composition du tribunal militaire change en fonction des circonstances. En temps de paix, les juridictions militaires camerounaises intègrent les magistrats de l’ordre civil. En temps de guerre, aucun civil n’est appelé à siéger dans lesdites juridictions. Articles 5 et 22 de la loi n°2017/012 du 12 juillet 2017 portant Code de Justice Militaire.
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La juridiction est dite d’exception lorsque ses règles substantielles et processuelles ne ressemblent pas à celles existant dans une juridiction ordinaire au point d’être considérées comme dérogatoires. La juridiction militaire peut être considérée comme une juridiction d’exception pour de multiples raisons dont quelques-unes seront mentionnées. Sur le plan géographique, contrairement aux juridictions modernes de droit commun de première saisine dont la compétence géographique s’étend à l’arrondissement (Il s’agit du Tribunal de Première Instance. Voir article 13 de la loi n°2005/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire) et au département (Il s’agit du Tribunal de Grande Instance. Voir article 16 de la précédente loi), la juridiction militaire est créée au chef-lieu de chaque région et le Tribunal Militaire de Yaoundé peut seul être compétent en cas d’état d’urgence et en cas d’infractions commises les militaires en mission ou en opération hors du territoire national (Voir article 3 et 4 de la loi n°2017/012 du 12 juillet 2017 portant Code de Justice Militaire). Sur le plan fonctionnel, les affaires criminelles sont jugées en collégialité (article 7 de la précédente loi) alors que celles du Tribunal de Grande Instance le sont en principe par un seul juge (article 18 de la loi n°2006/015).
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4
législation militaire
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. Tous ces bouleversements juridiques ne sont pas, loin s’en faut, sans conséquences sur le droit pénal militaire camerounais actuel.
Un tel contexte nous amène donc à nous poser la question de savoir dans quelle catégorie juridique le législateur a bien voulu ranger le droit pénal militaire camerounais au regard du caractère hybride de son dispositif normatif ?
Si une telle interrogation a le mérite d’aller au-delà de l’étude juridique du code de justice militaire de 2017
29
, pour prendre en compte les instruments juridiques qui lui sont antérieurs et connexes
30
, la singularité tient aussi au besoin d’associer des éléments de politique criminelle pour scruter l’attitude du législateur camerounais et apprécier le mouvement de la législation militaire. Il s’agit d’étudier la ratio legis en matière de justice militaire camerounaise à travers ses avancées et reculades pour savoir si le législateur est resté en marge des évolutions actuelles ou s’il écrit sa propre histoire, à défaut de se contenter de suivre le chemin tracé par d’autres systèmes juridiques au cours de l’histoire.
Elle permet surtout de révéler la nature exacte du droit pénal militaire actuel, qui loin de devenir un droit pénal commun (I), demeure un droit pénal d’exception (II).
I. La bataille de la normalisation du droit pénal militaire camerounais
Le rapprochement du droit pénal militaire et du droit pénal ordinaire est une constante du discours et des joutes politiques et législatives. Napoléon Bonaparte à son époque rêvait déjà d’une justice unique pour tous les citoyens
31
. Or, la réalité conduit pour des raisons diverses, propres à chaque pays, à la survie du droit pénal militaire au côté du droit pénal de droit commun. Le vrai débat serait donc plutôt celui des influences du second sur le premier. Ainsi, si le droit pénal militaire ne doit être considéré comme en dehors du temps qui passe
32
, il faut se rendre à l’évidence que les réformes observées en droit pénal ordinaire pénètrent le droit pénal militaire
33
. Le défi étant celui de son intensité.
L’occasion est alors propice de vérifier ce mouvement en droit pénal militaire camerounais. La lecture de la législation sur la justice militaire montre que des avancées dans le sens de la civilisation
34
du droit pénal militaire camerounais ont toujours été perceptibles, les unes étant plus récentes (1) que les autres (2).
28
On peut citer entre autres la composition spéciale du tribunal militaire en temps de guerre, le refus de l’admission de la constitution civile en temps de guerre. Voir l’article 22 de la loi n°2017/012 du 12 juillet 2017 portant Code de Justice Militaire.
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29
Voir entre autres B. M. Kem Chekem, « La répression des infractions relevant des tribunaux militaires dans le nouveau Code de justice militaire au Cameroun », supra note 3, pp 111-124.
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Il en est ainsi de la loi n°2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme.
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31
Avis présenté au nom de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées (1) sur le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale portant suppression des tribunaux permanents des forces armées en temps de paix et modifiant le Code de procédure pénale, Sénat de la République Française, Seconde session ordinaire de 1961-1962, n°322, p. 15.
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32
O. Roynette, « Les conseils de guerre en temps de paix entre réforme et suppression (1898-1928) », Vingtième siècle, 73, janvier-mars 2002, p. 51.
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33
T. Cysique, Les droits militaires en France et au Canada : étude sociologique de leur évolution comparée depuis un siècle (Thèse, Département de Sociologie-Faculté des sciences sociales-Université de Laval-Québec, 2013) p. ii.
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34
Il faut savoir que le terme employé, n’est pas celui qui avait cours par exemple en Anthropologie, lequel opérait une distinction controversée entre les sociétés développées dites civilisées et les sociétés archaïques considérées comme primitives voire sauvages. Il n’est pas non plus une création personnelle mais provient de la doctrine et les spécialistes de la justice militaire. Voir Commission des droits de l’homme, « Question de l’administration de la justice par les tribunaux militaires. Rapport présenté par le Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, Emmanuel Decaux», document E/CN.4/2006/58 du 13 janvier 2006. Commission des droits de l’homme, Résolution2001/19 et 2002/14 ; A. Tixhon et E. Bastin, « Délinquance ordinaire ou situation d’exception ? Les retombées de la guerre franco-allemande de 1870-1871 sur l’activité de l’auditorat militaire des provinces de Namur et de Luxembourg », Revue belge d’histoire contemporaine, 2006, p. 67. Pour comprendre le terme civilisation employé dans le présent travail, il faut partir du fait de l’existence d’une part d’une justice réservée aux civils et d’autre part une autre appliquée aux militaires. Parler d’une civilisation de la seconde renvoie tout simplement au processus de sa transformation en adoptant les normes pénales régissant la première. Il s’agit du processus de normalisation décrit plus haut. Voir note de bas de page n°24.
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1. Les bastions du droit pénal de fond
La justice militaire camerounaise n’a jamais été totalement indifférente aux mutations en cours dans la justice ordinaire. Aussi, a-t-elle à son rythme, adopté les évolutions qui y sont intervenues tant dans son droit pénal de fond que dans son droit processuel. Dans la première hypothèse, on peut mentionner la dévolution des affaires impliquant les mineurs à la justice ordinaire (A) et dans la seconde, la reconnaissance de la constitution de partie civile en temps de paix (B).
A. L’interdiction de juger les mineurs de dix-huit ans
Le mineur est défini comme celui qui n’a pas encore atteint l’âge adulte, c’est-à-dire la majorité. Au Cameroun, cette majorité est variable. La majorité pénale, qui est celle qui nous intéresse, est plafonnée à dix-huit ans.
Concrètement, le Code pénal issu de la loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 qui la prévoit en son article 80, énumère les catégories de minorité pénale en tirant les conséquences sur la responsabilité et les mesures de traitement qui en découlent. Le Code de procédure pénale du 27 juillet 2005 (CPP) quant à lui reconnait désormais que la justice des mineurs relève des tribunaux ordinaires, notamment du Tribunal de Première Instance statuant en matière de délinquance juvénile
35
.
L’exclusion des mineurs de l’appareil judiciaire militaire est une exigence légale depuis 1972. En effet, si l’’article 4 alinéa 3 in fine de l’ordonnance du 31 décembre 1959 annonçait déjà que les mineurs de 18 ans sont jugés par décision séparée, après débats et en chambre de conseil, l’ordonnance du 26 août 1972 modifiée par la loi n°74/4 du 1er juillet 1974 en son article 6 disposait que les mineurs de 14 à 18 ans auteurs ou complices
36
ne seront plus jugés par les juridictions militaires.
Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que les mineurs délinquants ne sont plus justiciables des tribunaux militaires
37
, tout comme il est désormais certain que la victime d’une infraction relevant de ces tribunaux peut y porter sa demande en indemnisation.
B. L’acceptation de la victime en temps de paix
La justice pénale a toujours enseigné que le procès ne peut se faire sans la victime. L’histoire révèle qu’elle a d’ailleurs été l’organe de poursuite et d’accusation en matière pénale
38
. Malgré le rôle considérable désormais joué par l’Etat en la matière, la victime de l’infraction n’a jamais été totalement écartée de l’appareil judiciaire. Dans certains pays, elle est même passée du statut d’« oubliée du procès pénal » à celui d’«…enfant chéri du législateur »
39
dépassant les clivages doctrinaux entre victime vindicative et victime réclamant réparation même à titre purement symbolique
40
. Ainsi, qu’on qualifie son action
35
Articles 700 à 743 de la loi n°2005/007 du 27 juillet 2005 portant Code de Procédure Pénale.
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36
Rien n’est expressément dit en ce qui concerne les mineurs de 14 ans. Par un argument a fortiori, on peut légitimement penser que le législateur ne les considère plus comme justiciables du tribunal militaire.
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37
Au Niger, les mineurs de moins de 18 ans peuvent être jugés par le tribunal militaire s’ils font partie des forces armées. N. Oumarou, « Brèves réflexions sur la Loi portant Code de Justice militaire de la République du Niger », supra note 14, p. 9.
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38
S. Tadrous, La place de la victime dans le procès pénal (Thèse de Doctorat, Université de Montpellier, 1er décembre 2014) pp. 18-19.
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39
L’expression est du Pr Philippe Bonfils. Ibid., p. 17.
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40
J. Leroy, La constitution de partie civile à fins vindicatives (défense et illustration de l’article 2 du Code de procédure pénale (Thèse, Paris XII, 1990).
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6
d’« action pénale privée »
41
, d’« action innommée »
42
ou d’« action publique de concours »
43
, la victime a toujours eu voix au chapitre en matière de justice.
La loi organise l’intervention de la victime à travers le procédé de la constitution de partie civile
44
, ce dernier n’étant pas exclusif
45
. Au Cameroun, ce qui vaut pour la justice ordinaire vaut aussi pour la justice militaire depuis 1972. C’est ainsi que l’ordonnance n°72/05 du 26 août 1972 portant organisation judiciaire militaire de l’Etat a été le premier texte à instituer la constitution de partie civile de la victime en son article 17, les textes subséquents lui ont simplement emboîté le pas
46
.
Toutefois, il n’est pas sûr que l’action de la partie civile ne rencontre aucun obstacle. En France par exemple, des manœuvres juridiques sont employées dès la phase des poursuites pour contrecarrer l’action civile, l’acharnement judiciaire de la victime étant le risque réel à éviter
47.
Par ailleurs, le législateur camerounais précise qu’en temps de guerre, aucune constitution de partie civile n’est recevable. Là aussi l’interdiction est permanente depuis 1972
48
. Cette exclusion n’est pas sans poser problème avec le CJM de 2017 qui fait du tribunal militaire le juge exclusif compétent en matière de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de crime de génocide. Il est vrai qu’une certaine doctrine affirme que le droit pénal n’a pas vocation à réparer le préjudice mais le dommage
49
, montrant par-là que seul l’auteur des violations massives des droits de l’homme est le protagoniste privé privilégié dans le procès pénal. Mais, une telle position n’est plus soutenable aujourd’hui et ne l’a jamais d’ailleurs été, si l’on prend en compte que le droit international humanitaire a toujours mis l’accent sur la réparation à accorder aux victimes de ces violations. On peut déjà se réjouir qu’une certaine doctrine propose de regarder la victimisation comme une atteinte à un droit subjectif
50.
Or, le fait que le législateur camerounais n’ait pas voulu légiférer sur les infractions internationales graves aux droits de l’homme en se plaçant sous l’angle des victimes
51
ne va pas sans susciter des inquiétudes. Il n’est pas superflu de présumer que cette exclusion de la constitution de partie civile en temps de guerre dans la justice militaire ne pose ou ne posera pas parallèlement la question la compétence tacite du juge de droit commun en la matière. L’audace de ce dernier est à l’épreuve, mais dépend largement du coup de force des victimes dans la lutte pour la reconnaissance de leurs droits.
41
Y. J. Ratineau, La privatisation de la répression pénale (Thèse, Université d’Aix-Marseille, 2013).
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42
Philippe Bonfils, « La participation de la victime au procès pénal. Une action innommée ? » in Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire – Mélanges offerts à Jean Pradel (Paris, Cujas, 2006) p. 179.
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43
L’appellation « action publique en concours » de la victime en opposition à l’action publique attitrée et de plein exercice du ministère public est proposée par Mme S. Cimamonti. Voir S. Cimamonti, « Rapport introductif », J.-B. Perrier (dir.), Dossier, Le juge pénal et l’indemnisation de la victime, Actes de Colloque de Clermont-Ferrand du 20 mars 2015, in La Revue (Centre Michel de l’Hospital), n° 7, juin 2016, pp. 22-23.
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44
Voir les articles 157 à 163 du CPP du 27 juillet 2005.
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45
La victime d’une infraction peut aussi intervenir directement en justice par le mécanisme de la citation directe. Mais s’agissant de la justice militaire, seul le Commissaire du Gouvernement est habilité à emprunter cette voie. Voir article 19 alinéa 2 a du CJM du 12 juillet 2017.
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46
Article 16 alinéa 3 de la loi de 2008, article 13 alinéa 5 de la loi du 12 juillet 2017 portant CJM.
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47
S. Thenault, « Les Tribunaux militaires et Juridictions d’exception : lutte contre l’impunité- Rapport de synthèse », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, Supra note 4, p. 43.
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48
Article 31 alinéa 5 de l’ordonnance de 72/05, article 22 alinéa e, article 22 alinéa I de la loi du 12 juillet 2017.
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49
E. Dreyer cité par I. P. Mfegue, « Réflexions sur les critères d’influence de la victime : contribution à leur harmonisation en droit camerounais », Revue africaine de droit et de science politique, Vol VI, n° XIII, supplément 2018, Les éditions le Kilimandjaro, février 2019, p. 224.
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50
I. P. Mfegue, Ibid., p. 235.
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51
Un pays comme le Niger accepte la plainte de la victime lorsque l’infraction a été commise sur le territoire nigérien. Voir N. Oumarou, « Brèves réflexions sur la Loi portant Code de Justice militaire de la République du Niger », supra note 14, p. 18. Le Cameroun aurait dû adopter cette position à minima mais réaliste.
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7
Tout compte fait, le scénario le plus plausible est d’admettre les victimes dans le cercle fermé de l’armée et des combats. C’est bien à une révolution à opérer qu’est appelé le législateur en reconnaissant la constitution de partie civile en temps de guerre.
Il aurait par-là fait œuvre d’innovation.
2. Les capitulations du droit pénal processuel
Dans l’exposé des motifs du projet de loi portant CJM
52
, le légiférant a énuméré comme innovation l’institution de la procédure de flagrant délit dans les règles de forme de la justice militaire (A). Cependant, il a oublié de réglementer la procédure de la détention provisoire dans cette justice, conduisant à un renvoi présumé au régime de droit commun, que le principe de la légalité criminelle ne saurait tolérer (B).
A. L’alignement explicite de la procédure de flagrant délit au régime de droit commun
La procédure de flagrant délit n’est pas expressément contenue dans le CJM du 12 juillet 2017. Le législateur a procédé par renvoi au CPP du 27 juillet 2005 qui la réglemente.
Pour comprendre la procédure de flagrant délit, il faut au préalable identifier les infractions pour lesquelles elle est mise en œuvre. Il ressort de l’article 103 du CPP qu’elle est mise en branle en cas d’existence d’une infraction flagrante. Comme d’accoutumée le législateur n’a pas défini ce qu’il entend par infraction flagrante, mais en a tout de même identifié les cas.
Ainsi, l’infraction est dite flagrante dans quatre hypothèses. La première regorge deux sous-hypothèses. D’une part l’infraction est en train de se commettre et le délinquant est surpris en action ; d’autre part l’infraction vient de se commettre et le délinquant est découvert sur les lieux du crime quelque temps après, ou vient de quitter les lieux. La deuxième hypothèse recèle trois comportements. Premièrement le délinquant est poursuivi par la clameur publique. Deuxièmement, il est trouvé en possession de l’objet du forfait. Troisièmement et enfin, il présente des traces et indices provenant de l’infraction. La troisième hypothèse d’infraction flagrante est observée dans le cadre de la commission d’une infraction dans une maison et pour laquelle son chef requiert le constat du Procureur de la République ou de l’Officier de Police Judiciaire (OPJ). La dernière hypothèse de flagrance intervient dans le cas de mort suspecte, lorsqu’on a découvert un cadavre, que la personne décédée soit morte à la suite de violences ou non.
Il faut aussi énumérer les obligations que la procédure de flagrant délit fait peser sur les acteurs de la poursuite que sont par ordre croissant les OPJ et le Procureur de la République. Sur le premier pèse une obligation d’information à l’égard du second
53
en même temps que des prérogatives lui sont reconnues touchant les personnes
54
et les biens
55
, qu’un procès-verbal doit sanctionner. Sur le second, sont attachées l’obligation d’autorisation des actes effectués par le premier
56
, l’obligation d’information de son homologue lorsque la recherche de l’infraction flagrante déborde sa circonscription de compétence et l’obligation d’interroger sur-le-champ le suspect préalablement identifié
57
. Dans ses attributions, le Procureur de la
52
Assemblée Nationale – République du Cameroun, Projet de loi n°1010/PJL/AN portant code de justice militaire, supra note 16, p. 1.
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53
Voir les articles 104 et 114 du CPP du 27 juillet 2005.
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54
L’OPJ peut procéder à des gardes en vue selon l’article 104 alinéa 2 b. Il peut restreindre la liberté de mouvement des témoins pendant 12 heures au plus sous peine de poursuites pénales pour séquestration arbitraire.
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55
L’OPJ à travers son déplacement sans délai sur les lieux de son ressort de compétence et même en dehors, peut procéder à des saisies (article 104 alinéa 2 d) et à des perquisitions (article 104 alinéa 2 f) même dans des lieux couverts par le secret professionnel (article 106 pour le cabinet d’avocat et article 107 pour le cabinet de médecin).
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56
Article 111 alinéa 1 du CPP.
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57
Article 112 du CPP.
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8
République peut se transporter sur les lieux
58
et décerner contre le suspect un mandat d’amener
59
. Lorsqu’il décide de poursuivre l’infraction flagrante, il doit passer par la voie de la citation directe en cas de délit flagrant
60
ou par la voie de l’information judiciaire en cas de crime flagrant
61
. En tout cas, un procès-verbal doit pouvoir recueillir tous ces actes du Procureur.
Ces aménagements procéduraux ont eu du mal à séduire la justice militaire jusqu’en 2017. Le législateur martelait constamment que : « La procédure de flagrant délit est inapplicable devant le tribunal militaire »
62
. Désormais, le tribunal militaire est saisi, selon les termes de l’article 19 alinéa 2 d de la loi n°2017/012 du 12 juillet 2017 portant Code de Justice Militaire, par procès-verbal d’interrogation au Parquet en cas de flagrant délit. On ne peut que louer cette avancée procédurale gage de la célérité de la justice militaire.
Cependant, il ne faut pas croire que la juridiction militaire ignorait totalement une quelconque procédure rapide en matière de jugement des affaires pénales de son ressort. Ainsi, lorsque la loi reconnaissait au Ministre en charge des Forces armées la possibilité de délivrer un ordre de mise en jugement direct
63
, c’est dans l’hypothèse où l’affaire concernée était en état d’être rapidement jugée. Ce qui rappelle la procédure de flagrant délit en cours devant les juridictions de droit commun
64.
En revanche, cette même justice militaire a dû intégrer dans sa pratique le recours au mandat de détention provisoire et s’aligner à la procédure de droit commun y relative, le législateur n’ayant curieusement pas trouvé nécessaire de légiférer dans un domaine aussi attentatoire aux libertés individuelles
65
.
B. L’alignement implicite de la détention provisoire au régime de droit commun
Comme pour la justice ordinaire avant la promulgation du CPP le 27 juillet 2005, le législateur camerounais n’a pas réglementé la détention provisoire dans la justice militaire, laissant l’inculpé au bon vouloir des autorités judiciaires. Si des critiques étaient formulées en la matière dans la justice de droit commun, on peut a fortiori avoir une idée de ce que le délinquant pouvait subir et subissait dans les geôles militaires.
La situation actuelle avec le CJM du 12 juillet 2017 ne change pas grand-chose, puisqu’il n’est dit nulle part, et surtout dans les dispositions finales et transitoires, que les délais de la détention provisoire observés
58
Son arrivée sur les lieux dessaisit de plein droit l’OPJ compétent, à moins que le Procureur de la République n’en décide autrement. Article 111.
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59
Selon les dispositions de l’article 14 du CPP, le mandat d’amener est l’ordre donné aux OPJ de conduire immédiatement devant son auteur (un magistrat), la personne y désignée.
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60
Voir les articles 40 à 55 du CPP.
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61
Article 112 alinéa 2 du CPP.
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62
Article 8 de l’ordonnance n°72/05 du 26 août 1972 portant organisation judicaire militaire de l’Etat ; Article 16 alinéa 4° de la loi n°2008/015 du 29 décembre 2008 portant organisation judiciaire militaire et fixant des règles de procédure devant les tribunaux militaires.
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63
Voir l’article 11 de l’ordonnance n°72/05, article 16 alinéa 2 de la loi n°2008/015.
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64
Néanmoins, il faut relativiser la ressemblance de la procédure de l’ordre de mise en jugement direct avec celle du flagrant délit. Si la première a cette particularité de saisir directement le juge et dans ce cas s’apparente à une citation directe, la seconde en est dépourvue. Voir B. Kadjoum, Recueil des textes usuels – Justice militaire, commenté et annoté, Tome I (Yaoundé, éditions CamerJuris) p.238.
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65
Ce n’est pas le cas de la garde à vue qui elle a fait l’objet de réglementation en matière de délai. Il est de 48 heures renouvelable une fois. Il peut être prorogé deux fois, sur autorisation écrite du Commissaire du Gouvernement, pour une période de 48 heures chacune. Voir l’article 12 alinéas c et d de la loi du 12 juillet 2017 portant CJM. Les délais de distance prévus par le CPP en son article 120 sont applicables à la garde à vue militaire. Voir l’article 12 alinéa e de la loi du 12 juillet 2017. Quant à la garde à vue en matière de terrorisme, le délai est de 15 jours renouvelable sur autorisation du Commissaire du Gouvernement compétent. Voir l’article 11 de la loi n°2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme. La longueur du délai serait liée à la complexité des enquêtes en la matière. Voir Assemblée Nationale – République du Cameroun, Projet de loi n°962/PJL/AN portant répression des actes de terrorisme, 9e législature, Année législative 2014, 3ème session ordinaire, n°032/AN/9, novembre 2014, p. 1 ; Rapport de la Commission des Lois Constitutionnelles, des Droits de l’homme et des libertés, de la Justice, de la Législation et du Règlement, de l’Administration sur le projet de loi n°962/PJL/AN portant répression des actes de terrorisme, n°40/R/AN/9, novembre 2014, p. 4.
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9
par la justice militaire sont ceux de droit commun. Les précédents textes législatifs sur la justice militaire ont aussi souffert de cette amnésie. Il reste donc au législateur d’écrire une disposition normative autonome renvoyant les délais de la détention provisoire militaire à ceux de la justice ordinaire, à défaut d’en prévoir expressément.
Toutefois, si le législateur n’a pas insisté sur les délais de la détention provisoire, il a néanmoins légiféré sur les effets du mandat concerné. En 1972, il précisait à l’article 14 alinéa 3 que le mandat de dépôt produit tous ses effets jusqu’à la saisine de la juridiction compétente. En 2008, il affirmait que ledit mandat, désormais appelé mandat de détention provisoire, reste valable, quand bien même le juge d’instruction se serait déclaré incompétent
66
. Dans le CJM du 12 juillet 2017 (article 15 alinéa 6), en cas d’incompétence du juge d’instruction sur l’affaire dont il est saisi, celui-ci donne mainlevée du mandat de détention provisoire qui avait été auparavant décerné.
Dans la même veine, il faut se réjouir de la possibilité accordée à l’infracteur de contester le mandat de détention provisoire décerné contre lui. Cette possibilité est offerte par l’article 269 du CPP et tempère la puissance du magistrat, dans un pays comme le Cameroun qui n’admet pas encore l’existence d’un juge spécial en matière de détention.
Au vu de ce qui précède, on peut déjà reconnaitre que la justice militaire au Cameroun a bel et bien déjà emprunté la route balisée par la justice ordinaire et que son droit pénal opère sa mue en conséquence.
Cependant, cette trajectoire n’est pas inexorable et linéaire. Elle est faite de reculs
67
et de calculs
68
. Aussi, l’affirmation de MM. Axel Tixhon et Eric Bastin selon laquelle la justice militaire s’est engagée dans un processus de civilisation croissante
69
semble peu pertinente dans le contexte camerounais, dans la mesure où l’examen combiné du nouveau CJM et des lois spéciales telles que celle de 2014 portant sur le terrorisme, révèle que l’effet de contagion est un mirage. Le droit pénal militaire camerounais est plutôt un droit d’exception. On comprend aisément l’inquiétude de Mme Elisabeth Lambert Abdelgawad sur la radicalisation de la justice militaire
70
camerounaise.
II. La victoire de l’« exceptionnalisation » du droit pénal militaire camerounais
Si la justice militaire a pour but naturel de combattre les écarts de conduite dans les casernes, il ne faut pas perdre de vue qu’elle a aussi la mission de neutraliser ceux qui agissent contre la Patrie. Aussi, le législateur camerounais a-t-il élaboré un droit pénal de l’ennemi (1) qui affirme la prééminence de l’autorité militaire dans la justice militaire (2).
1. Un droit pénal de l’ennemi militarisé
Au Cameroun, le droit pénal militaire a toujours été regardé comme un droit d’exception même si aujourd’hui le législateur s’en défend en considérant que la juridiction militaire qui l’applique est une juridiction à compétence spéciale
71
. Depuis 1972, les compétences du tribunal militaire au Cameroun n’ont
66
Article 14 alinéa 2 de la loi n°2008/015 du 29 décembre 2008 portant organisation judiciaire militaire et fixant des règles de procédure devant les tribunaux militaires.
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67
L’un des exemples les plus saillants est la reconduite de la peine capitale dans la justice militaire pourtant mise en veilleuse dans la justice ordinaire. Voir les articles 2, 3, 4 et 5 de la loi n° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme. Le principe 19 proposé par le Professeur E. Decaux suggère plutôt aux Etats de prendre en compte l’évolution internationale en faveur de l’abolition progressive de la peine de mort en temps de paix et en temps de guerre.
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68
La reconnaissance de la compétence du juge militaire en matière de crimes internationaux peut être considérée comme telle.
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69
A. Tixhon et E. Bastin, « Délinquance ordinaire ou situation d’exception ? Les retombées de la guerre franco-allemande de 1870-1871 sur l’activité de l’auditorat militaire des provinces de Namur et de Luxembourg », supra note 34, p. 67.
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70
E. Lambert Abdelgawad, « Introduction générale », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, p. 11.
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71
Il n’est pas le seul à réfuter un tel qualificatif, surtout que d’après Maurice Garçon, les juridictions d’exception se caractérisent par «… l’intervention de juges improvisés pour parvenir à une rapidité de procédure et de jugement qui prive les justiciables des garanties légales auxquelles ils ont droit et les livrer à l’arbitraire des tribunaux dont l’impartialité est toujours suspecte ». Voir Avis présenté au nom de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées (1) sur le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale portant suppression des tribunaux permanents des forces armées en temps de paix et modifiant le Code de procédure pénale, supra note 31, p. 22.
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10
cessé d’augmenter
72
. Pourtant en 2011, le Ministère de la Défense affirmait que ces attributions sont provisoires
73
. Aujourd’hui le CJM du 12 juillet 2017 semble démontrer le contraire en donnant de nouvelles matières à la juridiction militaire et en n’abrogeant pas les textes qui donnent à cette dernière compétence sur certains phénomènes criminels spécifiques.
Alors que la tendance mondiale est aujourd’hui de retirer la connaissance de tels fléaux à la justice militaire, jamais la justice ordinaire camerounaise n’a inspiré confiance lorsqu’il s’est agi de les réprimer. Le droit pénal appelé à la rescousse des institutions politiques ne pouvait dès lors être confié au juge de droit commun.
Désormais, il semble que pour lutter contre les ennemis de l’humanité (A) et les ennemis de la nation (B), seule la juridiction militaire soit apte.
A. L’irruption dans le droit pénal de l’ennemi de l’humanité
74
Les horreurs vécues et constatées lors des deux guerres mondiales, les exactions issues des coups d’Etat, rebellions et autres insurrections, et les atrocités commises par le fanatisme religieux, ont toujours préoccupé la communauté internationale. Elle n’a eu de cesse de rechercher le juge apte à connaitre des crimes les plus graves contre la population civile et à juger leurs auteurs. D’où l’intérêt aujourd’hui dépassé des tribunaux spéciaux internationaux de Nuremberg, de Tokyo, de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda, et de l’attention portée, bon gré mal gré, à la Cour Pénale Internationale.
Le législateur qui n’a jamais été en marge d’un tel mouvement, car s’étant toujours attribué une compétence sur des faits comportant des éléments d’extranéité, a été obligé de reconnaitre plus que jamais la spécificité du droit pénal humanitaire
75
. A ce titre, il est donc appelé à identifier le juge compétent en la matière. C’est à ce niveau que les pratiques nationales se singularisent.
Pendant que certains législateurs donnent compétence au juge pénal ordinaire de sanctionner de telles inhumanités - en cela confortés par la majorité des organismes interétatiques de défense des droits de l’homme
76
insistant sur le problème de l’incompatibilité de la justice militaire et la répression des
72
Ce constat bat en brèche l’affirmation du Ministère de la Défense de l’Etat du Cameroun selon laquelle la compétence des juridictions militaires serait résiduelle. Ministère de la Défense – République du Cameroun, Réponse au questionnaire – Remarques préliminaires sur la Conférence international relative à la juridiction militaire, Rhodes (Grèce) du 28 septembre 2011 au 02 octobre 2011, Yaoundé, 28 avril 2011, p. 2.
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73
Ministère de la Défense – République du Cameroun, Réponse au questionnaire – Remarques préliminaires sur la Conférence international relative à la juridiction militaire Rhodes (Grèce) du 28 septembre 2011 au 02 octobre 2011, supra note 72, p. 2.
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74
M. Damien Scalia définit l’ennemi de l’humanité comme : « celui qui est allé à l’encontre des lois du vivre ensemble en s’en prenant à l’humanité entière par sa volonté d’exterminer un groupe déterminé (génocide) ou une population civile (crimes de guerre ou crime contre l’humanité) ». D. Scalia, « Droit international pénal : un droit contre l’ennemi », Jurisprudence Revue Critique, 2012, pp 150-151. Le droit pénal de l’ennemi de l’humanité serait donc compris comme ce droit pénal applicable aux ennemis de l’humanité.
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75
Le droit pénal humanitaire peut être défini comme l’ensemble des normes pénales qui régissent les atteintes massives au droit international humanitaire. Ce dernier étant compris comme un ensemble de règles internationales applicables en temps de guerre visant la protection des combattants, de la population civile, des objets susceptibles d’être affectés ou risquant de l’être lors des hostilités, et limitant les méthodes et armes employées lors des conflits armés. La doctrine en fait désormais une branche du droit pénal méritant une attention plus approfondie. Voir L. Moreillon et al. (dir.), Droit pénal humanitaire, (Bruxelles, Bruylant, Collection latine, série II, vol IV, 2006). Dans le cadre de ce travail, il se limitera aux infractions graves de droit international commises sur la population civile.
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76
C’est le cas de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des peuples. C. Callejon, « Les principes des Nations Unies sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires : pour une justice militaire conforme au droit international », supra note 2, p. 10.
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11
infractions graves au droit international humanitaire
77
- d’autres les réservent à un juge spécial. Le Cameroun se situe malheureusement dans la seconde catégorie
78
.
Dans son droit pénal humanitaire, on y retrouve les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide
79
, systématisés à travers la doctrine du « droit pénal de l’inhumain »
80
qui selon les propos du Professeur Germain Ntono Tsimi : « …saisit l’insoutenable inhumanité de l’inhumain sans nier l’indestructible humanité de l’inhumanité »
81.
Ces infractions, en dépit des suggestions des « Principes Decaux »
82
, ont été attribuées à la juridiction militaire à l’article 8 a et b de loi n°2017/012 du 12 juillet 2017 portant Code de Justice Militaire
83
. Le législateur ayant ainsi préféré adopter la position donnée six ans plutôt par le Ministère de la Défense
84
. Il faut dès lors rechercher les raisons en droit pénal militaire qui, il faut le préciser, n’emportent pas toutes conviction.
Si la première catégorie, à savoir les crimes de guerre, peut être laissée entre les mains de la justice militaire en ce qu’elle touche un domaine qui ne lui est pas étranger, les deux autres font l’objet de réticences dans
la mesure où c’est bien souvent l’homme en tenue, qu’il soit de l’armée régulière ou non, qui en est l’auteur. Comment comprendre que le bourreau d’aujourd’hui devienne le juge de demain ? On voit bien les dérives de la situation antinomique de juge et de partie dont l’issue qu’est l’impunité, ne peut que faire conclure que justice militaire n’a pas été rendue.
Il est donc souhaitable que le contentieux du droit pénal humanitaire soit retiré aux juridictions militaires camerounaises parce que la législation militaire ne prend pas en compte la victimisation en temps de guerre. Peut-être faut-il créer une juridiction civile spécialement compétente pour les crimes internationaux dans laquelle les forces de défense feraient office d’experts.
Il faut aussi réduire la compétence des tribunaux militaires dans le domaine sensible du droit pénal de l’ennemi de la nation.
77
E. Lambert Abdelgawad, « Introduction générale », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, p.5.
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78
C’est aussi le cas de la République Démocratique du Congo. Voir Recommandations de l’atelier sur l’évaluation de la justice militaire comme mécanisme de répression des crimes internationaux (Centre international pour la justice transitionnelle Kinshasa, 8-10 juin 2009) p. 1. C’est encore le cas du Niger. Voir N. Oumarou, « Brèves réflexions sur la Loi portant Code de Justice militaire de la République du Niger », supra note 14, p. 2. ; P. D. Mviena, « Développement sur les principes internationaux gouvernant l’administration de la justice à travers des tribunaux militaires tels que la sanction des violation graves aux droits de l’homme et l’impartialité », 20e Congrès de la société internationale du droit militaire et de la guerre, Prague, 17 avril 2015, pp 4-5.
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79
Sur la définition desdits crimes, lire, Philippe Keubou, Le droit pénal camerounais et la criminalité internationale (Thèse Université de Poitiers, année académique 2011-2012) pp. 111-129.
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80
M. Delmas-Marty, « Violences et massacres : entre droit pénal de l’ennemi et droit pénal de l’inhumain », Revue des Sciences Criminelles, Dalloz, 2009, pp. 59-68.
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81
G. Ntono Tsimi, Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans les droits pénaux africains : contribution à une théorie sur l’internormativité des systèmes pénaux en transition (Thèse de Doctorat Ph.D en Droit Privé et Sciences Criminelles, Université de Yaoundé II, 2011-2012) p. 26.
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82
Il s’agit du principe 29. Voir E. Decaux, « Quatrième session : La compétence matérielle des juridictions militaires », supra note 11, p. 5.
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83
Au Niger, la juridiction militaire est incompétente pour juger les personnes civiles auteurs de crimes au droit international humanitaire. N. Oumarou, « Brèves réflexions sur la Loi portant Code de Justice militaire de la République du Niger », supra note 14, p. 8.
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84
Ministère de la Défense – République du Cameroun, Réponse au questionnaire – Remarques préliminaires sur la Conférence international relative à la juridiction militaire Rhodes (Grèce) du 28 septembre 2011 au 02 octobre 2011, supra note 72, p. 7.
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12
B. La conservation du droit pénal de l’ennemi de la nation
Révélé par le pénaliste allemand Günther Jacobs en 1990
85
, le droit pénal de l’ennemi, ramification du droit pénal de l’auteur, est celui qui s’applique à l’adversaire déclaré ou potentiel de la nation, en raison de sa dangerosité. Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis lui ont apporté un regain d’actualité. Il repose sur la volonté de répondre par des mesures ante delictum
86
aux nouvelles menaces criminelles qui affectent la sécurité des Etats. Se distinguant par l’édiction des règles de fond et de forme dérogatoires au droit commun, ce droit pénal de l’ennemi ne manque pas de bouleverser les grands principes généraux de droit parmi lesquels la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable
87.
En effet, opérant une distinction entre le criminel et l’ennemi, le premier pouvant encore être resocialisé
88
par rapport au second, le droit pénal de l’ennemi rappelle, notamment sur la question du terrorisme, la théorie du combattant ennemi illégal
89
. Celle-ci tend à faire croire que certaines personnes, parce que hors-la-loi ou se seraient elles-mêmes exclues du jeu en raison de leurs actes et comportements
90
, mériteraient d’être traités différemment voire en dehors du droit, au détriment du respect des instruments de protection des droits de l’homme dont elles doivent pourtant se prévaloir pour éviter d’éventuels abus
91.
Ceci dit, le droit pénal de l’ennemi n’est pas nouveau
92
au Cameroun, car depuis les indépendances, ce pays a toujours cherché à stigmatiser ses ennemis et à choisir le juge appelé à les mettre hors d’état de nuire. Une législation exceptionnelle du droit de punir est
toujours mobilisée. Le contexte étant toujours le même : « …à l’urgence du moment, doit coïncider la célérité de la réaction étatique, et la fermeté de la répression. »
93.
Il en était ainsi des subversifs, objets d’une ordonnance de 1962 et jugés par la juridiction militaire appliquant la peine de détention
94
. La doctrine camerounaise, notamment le Pr Adolphe Minkoa She, mettait déjà en lumière ce mythe de l’ennemi ou des ennemis de la nation
95.
85
Voir sur la question J.-F. Dreuille, « Le droit pénal de l’ennemi : éléments pour une discussion », Jurisprudence Revue Critique, 2012, p. 150, pp. 153 et s.
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86
Il s’agit, selon les propos de Jason Corroyer, d’une part d’une anticipation par neutralisation et par surveillance à l’issue de l’édiction d’une incrimination en anticipation du résultat et du comportement. J. Corroyer, « Droit pénal de l’ennemi et anticipation, Jurisprudence Revue Critique, 2012, pp. 131-144.
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87
F. Munoz Conde, « Le droit pénal international est-il un droit pénal de l’ennemi », Revue des Sciences criminelles, 2009, pp. 19-30 ; G. Giudicelli-Delage, « Droit pénal de la dangerosité-Droit pénal de l’ennemi », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, Dalloz, n°1, 2010, p. 76 ; O. Cahn, « Droit pénal de l’ennemi-Pour prolonger la discussion… », Jurisprudence Revue Critique, 2012, pp. 105 et s.
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88
La resocialisation est un ensemble de mesures prises par la société pour parvenir à la réintégration du délinquant dans celle-ci et qui s’en est désintégré par la commission d’une infraction. Pour le droit positif camerounais, lire Tokwene A Ndokou Eloubwe
Ilate, La resocialisation du mineur délinquant en droit camerounais (Mémoire de DEA, Option droit pénal, Université de Yaoundé II Soa, 2003).
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89
Sur la question, voir J. Cantegreil, « La doctrine du « combattant ennemi illégal » », Revue de Science Criminelle et de Droit Comparé, n°1, Dalloz, 2010, pp. 81-106.
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90
G. Giudicelli-Delage, « Droit pénal de la dangerosité-Droit pénal de l’ennemi », supra note 87, p.77.
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91
Cette situation alarmante a amené Mme Stéphanie Aubert à se poser la question pertinente de savoir si ce droit pénal de l’ennemi était encore du droit dans un Etat de droit. S. Aubert, « L’ennemi dans le Livre IV du Code pénal français : approches comparées », Revue électronique de l’AIDP, 2012, p.3.
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92
En Occident, il remonterait à l’époque nazie où il a consisté, après l’exclusion sociale et juridique de certaines catégories de personnes, à l’extermination de ces dernières. Voir F. Munoz Conde, « Le droit pénal international est-il un droit pénal de l’ennemi », supra note 87, p. 22 et s ; G. Giudicelli-Delage, « Droit pénal de la dangerosité-Droit pénal de l’ennemi », supra note 87, p. 78.
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93
S. Engueleguele, « La sûreté de l’Etat dans le débat politique : analyse politique de deux débats parlementaires », in CURAPP-CNRS, La politique ailleurs (Paris, PUF, 1998) p. 391.
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94
Voir l’ordonnance n°62-OF-18 du 18 mars 1962 portant répression de la subversion.
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95
A. Minkoa She, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, supra note 19, p. 216.
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13
On mentionne encore les auteurs d’infractions à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat
96
. Ceux-ci ont d’abord été justiciables du tribunal militaire
97
jusqu’en 1990
98
, date de la création de la Cour de Sûreté de l’Etat et dont le maintien ou la suppression alimente encore le débat en doctrine
99
qui devrait aussi davantage être tournée vers la dénonciation de la compétence de cette juridiction à l’égard des mineurs de quatorze ans. En 2008, le législateur a redonné compétence aux juridictions militaires de connaitre des infractions contre la sûreté de l’Etat commises par des personnes ne bénéficiant pas des privilèges de juridiction. En effet, lorsqu’il s’agit du Premier Ministre, des autres membres du gouvernement et assimilés, et des hauts responsables de l'administration ayant reçu délégation de pouvoir, c’est la Haute Cour de Justice qui est compétente
100
. Les infractions contre la sûreté de l’Etat se trouvent dès lors réparties devant plusieurs juridictions en fonction de la qualité de l’auteur ; ce qui est une entrave majeure à la cohésion de la politique criminelle camerounaise.
Le droit pénal de l’ennemi est enfin appliqué aux terroristes, objets de la loi n°2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme. Dans l’exposé des motifs du projet de loi n°962/PJL/AN de novembre 2014, le législateur justifie la compétence exclusive de la juridiction militaire en matière de terrorisme par la spécificité des infractions terroristes
101
. Celles-ci sont ont été étudiées par la doctrine camerounaise
102
qui énumère les griefs du droit pénal camerounais en matière de terrorisme : l’imprécision définitionnelle des infractions de terrorisme
103
, l’imprécision dans l’identification du terroriste
104
, la substitution de la responsabilité pénale centrée sur l’infraction commise par celle basée sur l’infraction redoutée et conduisant à une responsabilité par soupçon
105.
Remarquant que la justice militaire se trouve constamment confrontée à la dialectique justice et guerre
106
, un auteur note que l’attribution de la répression du terrorisme au tribunal militaire emporte deux entraves majeures aux exigences du procès équitable. La première est la violation du droit au juge militaire dans la mesure où les tribunaux militaires ne sont pas dans les faits disséminés sur tout le territoire camerounais bien que créés par région. La seconde, à laquelle nous reviendrons plus tard, est le rôle prééminent joué par le Ministre en charge de la justice militaire lors du déroulement du procès pénal militaire
107.
96
Selon le Sénat français en 1962 : « Il appartient à la justice militaire d’assurer la répression de tous les agissements tendant à affaiblir les capacités de résistance du pays », Avis présenté au nom de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées (1) sur le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale portant suppression des tribunaux permanents des forces armées en temps de paix et modifiant le Code de procédure pénale, supra note 31, p. 10.
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97
Il en a été aussi le cas en France. Voir B. Battais, La justice militaire en temps de paix : l’activité judiciaire du conseil de guerre de Tours (1875-1913), supra note 1, p. 40.
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98
Voir la loi n°90/060 du 19 décembre 1990 portant création et organisation de la Cour de Sûreté de l’Etat.
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99
Voir sur la question S. Kuate Tameghe, La justice, ses métiers, ses procédures (Paris, L’Harmattan, 2016) pp. 162-163 ; F. Anoukaha, « La réforme de l’organisation judiciaire au Cameroun », Juridis Périodique n°68, oct-nov 2006, p. 47 ; A. D. Olinga, La constitution de la République du Cameroun (Yaoundé, PUCAC, 2013) pp. 114 et s.
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100
Voir l’article 53 de la Constitution du 18 janvier 1996, l’ordonnance n°72/7 du 26 août 1972 portant organisation de la Haute Cour de Justice.
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101
Assemblée Nationale – République du Cameroun, Projet de loi n°962/PJL/AN portant répression des actes de terrorisme, 9e législature, Année législative 2014, 3ème session ordinaire, n°032/AN/9, novembre 2014, p. 1
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102
F. Edimo, « L’incrimination du terrorisme en droit pénal camerounais », Juridical Tribune, Vol. 6, Issue 1, Juin 2016, pp. 164-174 ; F. R. Bikié, « Le droit pénal à l’aune du paradigme de l’ennemi : Réflexion sur l’Etat démocratique à l’épreuve de la loi camerounaise n° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme », La Revue des droits de l’homme, 23 décembre 2016, pp. 1-22.
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103
A ce sujet, M. F. Edimo parle d’infraction embusquée s’appliquant de manière aléatoire et inégalitaire. F. Edimo, « L’incrimination du terrorisme en droit pénal camerounais », supra note 102, p. 168.
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104
F. R. Bikié, « Le droit pénal à l’aune du paradigme de l’ennemi : Réflexion sur l’Etat démocratique à l’épreuve de la loi camerounaise n° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme », supra note 5, p. 4.
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105
Ibid., pp 7-8.
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106
Ibid., p. 3.
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107
Ibid., p. 10.
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14
A ces lacunes il faut ajouter des omissions en matière de droit pénal de fond, parmi lesquelles l’impossibilité pour le juge militaire de prononcer des peines alternatives à l’emprisonnement ; ce qui dénote le caractère va-t’en guerre de la loi du 23 décembre 2014
108.
Par ailleurs, un autre phénomène peut être observé en cas de conflit de compétence ratione materiae entre les juridictions de droit commun et les juridictions militaires. Il porte sur la question essentielle des terroristes mineurs. On sait que la loi sur le terrorisme interdit aux juridictions civiles de juger une quelconque affaire y relative. En même temps, la loi du 12 juillet 2017 portant code de justice militaire au Cameroun proscrit aux tribunaux militaires de juger les personnes mineures qui devraient renvoyer la cause aux juridictions ordinaires. Celles-ci peuvent et doivent opter pour leur incompétence, vu la spécialité de la matière. Il s’y installera donc, et cela n’est pas une vue de l’esprit, un ping-pong incessant entre juridictions militaires et ordinaires créé par le législateur camerounais auquel il doit mettre un terme. Une alternative s’offre à lui : soit il donne compétence exceptionnelle aux tribunaux ordinaires de juger des infractions de terrorisme lorsqu’un mineur y est impliqué, solution qui semble la meilleure ; soit il attribue pleinement le contentieux du terrorisme aux tribunaux militaires quel que soit l’âge de l’infracteur, solution à bannir.
La compétence des juridictions militaires doit dès lors être revisitée tout comme doivent l’être certaines de ses règles procédurales.
2. Un droit processuel militarisé
La justice militaire reste exceptionnelle au Cameroun en ce qu’elle fait la part belle aux Officiers de Police Judiciaire de l’armée dans la conduite des enquêtes (A) et qu’elle ne veut pas se débarrasser de l’influence du Prince dans la conduite de ses affaires (B).
A. La prédominance des enquêtes militaires
La particularité de la justice militaire au Cameroun voulue par le législateur s’observe entre autres dans la conduite des enquêtes judiciaires. Il résulte de l’article 11 du CJM du 12 juillet 2017 que les OPJ militaires sont exclusivement compétents pour diligenter les enquêtes lorsque certaines infractions sont commises. Il s’agit : des infractions militaires, crimes de guerre, infractions de toute nature commises dans une région soumise à l’état d’urgence ou d’exception où se trouve impliqué un militaire ou assimilé, infractions commises par le personnel civil dans un établissement militaire, à l’endroit d’un militaire ou d’un bien militaire ou qui portent atteinte au bon fonctionnement du service militaire, infractions commises en violation à la législation sur les armes et enfin les infractions sur l’habillement militaire.
Par ailleurs, le législateur prévoit des enquêtes alternatives et non conjointes entre les OPJ militaires et les OPJ ordinaires. Il en est ainsi en cas de crimes contre l’humanité, crimes de génocide, d’infractions liées au terrorisme, à la piraterie maritime et contre la sûreté maritime, d’infractions de toute nature commises à l’aide d’une arme à feu et en cas de vol avec port d’arme.
Or, ce n’est pas une hypothèse d’école si pour une même infraction les deux catégories d’OPJ se déclarent compétentes. Contrairement aux conflits de compétence ou d’incompétence résolus par le CPP du 27 juillet 2005 en ce qui concerne les juges du siège
109
, le CJM, ni d’ailleurs le CPP, n’a prévu de dispositions relatives au règlement des OPJ. Pourtant cette question ne doit pas être négligée, le CJM n’ayant institué aucune préséance entre les deux catégories d’OPJ
110
. L’intervention du législateur est d’autant plus
108
Voir Assemblée Nationale – République du Cameroun, Rapport de la Commission de la Défense Nationale et de la Sécurité sur le projet de loi n°1010/PJL/AN portant code de justice militaire, n°089/R/AN/9, juin 2017, p. 20.
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109
Voir les articles 600 à 603 du CPP du 27 juillet 2005.
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110
S’agissant des OPJ du Tribunal Criminel Spécial, ils ne sauraient entrer en conflit avec les OPJ militaires dans la mesure où le taux du dommage à lui seul suffit à départager la sphère d’intervention des uns et des autres. Les premiers ne sont compétents que pour les infractions de détournement des biens publics excédant la somme de 50 millions de FCFA. Voir la loi n°2012/011 du 16 juillet 2012 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un tribunal criminel spécial.
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15
nécessaire que ce dernier a, comme nous le verrons plus tard, reconnue la compétence des OPJ militaires dans la catégorie des affaires signalées. Des réunions de concertation entre ces unités, régulièrement organisées sur le terrain pour assurer l’homogénéité des actions
111
est certes salutaire, mais elles gagneraient à être réglementées par le législateur.
Celui-ci doit par ailleurs revoir l’emprise de l’exécutif sur la justice militaire.
B. L’ingérence de l’autorité hiérarchique
L’une des finalités de la justice est de rétablir l’ordre qui a été perturbé par l’infraction. Pour ce faire, cette justice est appelée elle-même à agir dans l’ordre. C’est pourquoi en tant qu’appareil de l’Etat, elle est structurée et possède des autorités à qui il faut rendre compte. La situation est identique pour la justice ordinaire et la justice militaire ; les conséquences n’étant pas les mêmes. Si nous prenons le cas du Procureur de la République dont on sait que l’une de ses caractéristiques est la subordination hiérarchique, on reconnait néanmoins que la loi lui laisse une marge de manœuvre en ce sens qu’il peut s’écarter oralement des réquisitions de son supérieur sous certaines conditions
112
. Un tel mécanisme n’a pas son pendant dans la justice militaire
113.
Toujours est-il que, que l’on se situe dans la justice de droit commun ou dans celle des militaires, il existe un devoir d’informer l’autorité hiérarchique quant au déroulement du procès pénal. A travers cette obligation, c’est bel et bien le problème de l’indépendance de la justice qui est soulevé.
Autant le législateur déclare que le pouvoir judiciaire est indépendant
114
, autant il élabore des mécanismes d’interférence dans la matière judiciaire. Le problème se pose encore avec plus d’acuité en ce qui concerne la justice militaire fortement marquée par la discipline jusqu’au plus haut sommet de l’Etat ; d’où l’immixtion incessante du pouvoir exécutif
115
dans un domaine où les magistrats militaires ne bénéficient pas des mêmes garanties statutaires que leurs homologues des juridictions ordinaires
116
. La justice au Cameroun en général et la justice militaire en particulier n’échappe donc pas à l’allégeance au pouvoir exécutif
117
. C’est dire que cette tare congénitale, qui n’est pas nouvelle
118
, est loin de disparaitre.
Concrètement, ce droit de regard de l’autorité hiérarchique se décline essentiellement en l’obligation d’information qui pèse sur le Commissaire du Gouvernement, sur l’orientation l’action publique dans le sens déterminé par l’autorité supérieure, mais surtout par la possibilité d’arrêter toute poursuite pénale sur demande de l’exécutif.
111
Ministère de la Défense – République du Cameroun, Réponse au questionnaire – Remarques préliminaires sur la Conférence international relative à la juridiction militaire Rhodes (Grèce) du 28 septembre 2011 au 02 octobre 2011, supra note 72, p. 4.
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112
Il est tenu d’informer son supérieur avant la tenue de l’audience de ce comportement dissident. On dit que « La plume est serve, la parole libre ».
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113
Il existe donc une incompatibilité entre le juge et le militaire, car comme le reconnait M. Roberto Garreton, l’essence du juge est l’indépendance et celle du militaire l’obéissance. R. Garreton, « La compétence des Tribunaux militaires et d’Exception - Rapport de synthèse », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, p. 15.
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114
Voir l’article 37 alinéa 2 de la Constitution du 18 janvier 1996 ; l’article 41 du décret n°2007/199 du 07 juillet 2007 portant règlement de discipline générale dans les forces de défense.
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115
M. F. Zaneti parlait à propos du couple presqu’incestueux de l’exécutif et de la justice que : « Il y a entre la Justice et le Prince, une vieille complicité. L’un apparait difficilement sans l’autre, au point qu’on pourrait être tenté d’affirmer à la fois que l’autorité publique procède de la justice et que la Justice procède de l’autorité publique ». C. Tchoungang, De l’impossible justice au Cameroun (Yaoundé, Les éditions du Schabel, 2015) p. 59.
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116
G. Giudicelli-Delage, « Les garanties procédurales et le droit au recours - Rapport de synthèse », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, p. 31.
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117
Pourtant le principe 13 des principes dits Decaux insiste sur la garantie de l’indépendance et de l’impartialité des juges militaires par rapport à la hiérarchie militaire.
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114
A. Minkoa She, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, supra note 19, pp 236-237.
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16
S’agissant de la première hypothèse, l’article 13 alinéa 1 de la loi de 2017 qui a accompli une petite révolution par rapport à celle de 2008
119
en disposant que désormais l’action publique est mise en mouvement par le Commissaire du Gouvernement, ne précise pas moins en son alinéa 2 que ce dernier est tenu d’informer le Ministre de la Justice militaire en cas d’existence d’une affaire signalée
120.
Ce dernier, et c’est la deuxième hypothèse, décide de la suite à donner aux dites affaires selon l’alinéa 3 de l’article précédent. On n’est pas loin, et on est très proche de la situation qui prévalait en 2008, et qui faisait de cette autorité militaire le véritable « procureur militaire »
121.
Dans la dernière hypothèse, la même autorité peut arrêter, sur prescription du Président de la République, à tout moment, mais avant le prononcé du jugement, toute poursuite pénale devant le tribunal militaire selon l’alinéa 4 de l’article 13. La volonté du législateur est constante en la matière depuis la loi du 15 juillet 1987 venue ajouter un 5e alinéa à l’article 11 de l’Ordonnance n°72/5 du 26 août 1972 portant organisation judiciaire militaire de l’Etat
122
. Toutefois, on peut noter quelques modifications dans le langage employé à travers la disparition de l’appellation « Ministre chargé des Forces Armées » dont la connotation guerrière ne fait pas de doute dans un domaine (la justice) qui promeut une autre philosophie de l’ordre dans l’Etat.
Conclusion
Quel que soit le pays où l’on se trouve, les résultats issus des travaux effectués sur la justice militaire tirent la sonnette d’alarme de la non-observation optimale des « Principes Decaux »
123
à travers le monde.
Ce constat n’épargne pas le Cameroun. Pourtant, en intégrant la juridiction militaire dans l’appareil judiciaire
124
, le législateur camerounais semblait avoir pris la direction de la normalisation de la justice militaire avec comme conséquence, l’alignement du droit pénal militaire au droit commun. Il semblait davantage manifester sa croyance au règne des règles pénales ordinaires en adoptant en matière processuelle certains mécanismes procéduraux inconnus du droit pénal militaire traditionnel. L’adoption de la procédure de flagrant délit par la loi n°2017/012 du 12 juillet 2017 portant Code de Justice Militaire en est une parfaite illustration.
Or, la montée de certains phénomènes criminels au départ marginaux dans le territoire camerounais et qui aujourd’hui se sont mués en véritables menaces pour son intégrité, a fait voler en éclat la volonté du
119
Cette loi prévoyait en son article 12 alinéa 1 que l’action publique était mise en mouvement par le Ministre chargé de la Justice militaire et exercée par le Commissaire du Gouvernement. Le projet de loi n°1010/PJL/AN portant code de justice militaire a fait du Commissaire du Gouvernement la seule autorité compétente en matière de poursuite des infractions relevant du CJM.
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120
Il découle de la Directive n°1736/DIR/MINDEF/01 du 21 juillet 2017 pour l’application de l’article 13 alinéa 2 et 3 de la loi n°2017/012 du 12 juillet 2017 portant code de justice militaire que lesdites affaires signalées sont : les crimes de guerre; les crimes contre l’humanité; les crimes de génocide; les infractions de piraterie maritime et actes illicites contre la sûreté maritime et les plateformes; les infractions de terrorisme; les atteintes à la sûreté de l’Etat; les infractions commises en violation de la législation sur les armes de la 1ère à la 4e catégorie; les infractions de toute nature où se trouve impliqué un militaire ou assimilé perpétrées en temps de guerre ou dans une région soumise à l’état d’urgence ou d’exception; les détournements d’effets militaires; les vols avec port d’arme à feu et enfin, les infractions mettant en cause des Officiers, les autorités administratives et parlementaires. Voir B. Kadjoum, Recueil des textes usuels-Justice militaire, commenté et annoté, supra note 64, p.235. A la vue des infractions qui entrent dans la catégorie des affaires signalées, on se rend bien compte que c’est presque toute la compétence d’attribution de la juridiction militaire de l’article 8 du CJM du 12 juillet 2017 qui est concernée.
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121
M. F. R. Bikié faisait déjà remarquer que le Ministre de la Justice militaire décide de la poursuite ou non des infractions relevant du CJM sur toute l’étendue du territoire ! F. R. Bikié, « Le droit pénal à l’aune du paradigme de l’ennemi : Réflexion sur l’Etat démocratique à l’épreuve de la loi camerounaise n° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme », supra note 5, p. 10.
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122
Les mêmes dispositions sont contenues dans l’article 12 alinéa 3 de la loi n°2008/015 du 29 décembre 2008 portant organisation judiciaire militaire et fixant des règles de procédure devant les tribunaux militaires.
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123
G. Giudicelli-Delage, « Les garanties procédurales et le droit au recours - Rapport de synthèse », in E. Lambert Abdelgawad (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation : perspectives comparées et internationales, supra note 4, p. 37.
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124
Article 3 nouveau de la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire modifiée et complétée par la loi n°2011/027 du 14 décembre 2011.
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