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The Military Law and the Law of War Review
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Review 2018-2019 - Volume 57

La rupture de l’équilibre juridique de l’article 141bis du code pénal belge par la jurisprudence sur les « combattants étrangers »
La remise en cause de la répartition des compétences entre le droit international humanitaire et le droit antiterroriste
JULIEN TROPINI
Doctorant, Université Grenoble Alpes et Université Libre de Bruxelles

I. Introduction

" [T]he phenomenon of foreigners joining conflicts thousands of miles from their homes is not new. […] More recently, [Foreign Fighters] went to Afghanistan in the 1980s to fight Soviet occupation. And many outsiders flooded into the Balkans […] in the early 1990s to take up arms against the government in Belgrade. These examples […] barely attracted our attention at the time. In Europe, many reasoned that the phenomenon was welcome given that ‘my enemy’s enemy is my friend’. However, in hindsight, it is clear that the conflicts in Bosnia and in Afghanistan were incubators for the problems we face today, when foreign nationals join groups such as al-Shabab and Boko Haram in Africa, and Da’esh and al-Nusra in the Middle East. " 1
Malgré son ancienneté 2 , la notion de « combattant étranger » 3 ne dispose à ce jour d’aucune définition contraignante universellement reconnue. 4 Il n’a pas été jugé nécessaire de définir cette réalité pour l’appréhender. Cependant, s’il est resté très peu étudié durant des années, le phénomène constitue au XXIème siècle l’un des enjeux majeurs en matière de sécurité.

Depuis l’explosion du phénomène 5 , des spécialistes ont proposé des définitions à partir d’éléments factuels relevés dans leurs observations. Nous en dégageons la définition qui servira à cet article. 6 Ainsi, un « combattant étranger » est : (1) un individu quittant son État de nationalité ou de résidence habituelle pour rejoindre un État dont il n’a pas la nationalité et où il n’a pas sa résidence habituelle ; (2) l’individu rejoint cet État pour y prendre part à un conflit armé ; et (3) l’individu prend part aux hostilités en rejoignant une partie non étatique dont il partage l’idéologie.

De par cette définition, nous écartons l’assimilation régulièrement proposée 7 du « combattant étranger » au mercenaire. En effet, le mercenariat répond à une définition juridique contraignante et érige l’objectif d’enrichissement personnel en critère du statut de mercenaire. 8 Cet objectif d’enrichissement étant d’ailleurs spécifiquement érigé en critère car « les dispositions de la future convention [internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des mercenaires] ne devaient [pas]

1 A. De Guttry, F. Capone and C. Paulussen (éds.), Foreign Fighters under International Law and Beyond (The Hague, T.M.C. Asser Press, 2016) Foreword p. V. Back
2 Voir notamment E. David, Mercenaires et volontaires internationaux en droit des gens (Université Libre de Bruxelles, Centre de droit international, 1978), 459 p. Back
3 Dans ce travail nous emploierons comme synonymes au terme de combattants étranger ceux de : - foreign fighters [version anglophone] ; - volontaires internationaux [terminologie historique du phénomène]. Back
4 D. Malet, « Foreign Fighter Mobilization and Persistence in a Global Context », Terrorism and Political Violence, Vol. 27, N°3, May 2015, pp. 457‑458. Back
5 Voir notamment : H. Tuck, T. Silverman et C. Smalley, « Shooting in the right direction: Anti-ISIS Foreign Fighters in Syria & Iraq », Horizons Series, N°1, 2016, 55 p ; T. Hegghammer, « Should I Stay or Should I Go ? Explaining Variation in Western Jihadists’ Choice between Domestic and Foreign Fighting », American Political Science Review, February 2013, 15 p. Back
6 Voir notamment les définitions proposées dans : A. De Guttry, F. Capone and C. Paulussen, « Introduction », in A. De Guttry, F. Capone and C. Paulussen (éds.), supra note 1, p. 2 ; S. Krähenmann, « Foreign Fighters under International Law », Academy Briefing N° 7, Geneva Academy of International Humanitarian Law and Human Rights, octobre 2014, p. 6 ; T. Hegghammer, « The Rise of Muslim Foreign Fighters : Islam and the Globalization of Jihad », International Security, Vol. 35, No. 3 (Winter 2010/11), pp. 57-58 ; D. Malet, supra note 4, pp. 455‑458. Back
7 Voir notamment la thèse : E. David, supra note 2, p. 3. Back
8 Art. 1er, 1., b) et 2., b), Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des mercenaires, 4 décembre 1989 ; Art. 47, Protocol additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, 8 juin 1977. Back


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porter préjudice […] aux activités des volontaires internationaux […]. » 9 De plus, cette recherche d’enrichissement personnel ne serait pas déterminante chez les volontaires internationaux. 10 Au contraire, des raisons idéologiques seraient à l’origine de leur engagement dans une lutte armée pour y défendre une cause, leur cause. 11

Comme nous allons le voir en nous concentrant sur la situation belge, l’absence de définition officielle crée une profonde incertitude quant au corpus juridique à appliquer aux violences des « combattants étrangers » (a). L’étude de la réponse belge au phénomène sera alors ici particulièrement intéressante (b).

(a) En principe, si le « combattant étranger » se caractérise par une participation à un conflit armé, alors l’existence même de ce dernier amène automatiquement l’applicabilité du droit international humanitaire (DIH : droit des conflits armés, Ius in bello). 12 Or, le DIH prévoit un statut juridique pour chaque individu impliqué dans un conflit armé, comme victime ou acteur. Les « combattants étrangers », puisque caractérisés par une participation à un conflit armé, ne font pas exception. C’est ce qu’avait conclu le Professeur Éric David ; le statut applicable et les règles opposables dépendraient des actes commis, du type de conflit et de la qualité de la partie rejointe. 13 Quoiqu’il en soit, c’est dans le droit des conflits armés que le statut des « combattants étrangers » semble se définir.

Cependant, ces dernières années, le phénomène des « combattants étrangers » a commencé à être assimilé au terrorisme. Leurs entraînements et leur aguerrissement leur conférant « les aptitudes et la motivation pour perpétrer des attaques terroristes. » 14 Ainsi, le courant majoritaire actuel 15 n’a pas été d’appliquer les statuts du DIH mais les statuts du droit antiterroriste à ces individus. 16

(b) Dans ce contexte, l’étude de la situation juridique belge semble particulièrement stimulante. Leader européen dans l’exportation de « combattants étrangers », 17 la Belgique est intéressante en ce que son code pénal prévoit expressément une hiérarchisation du DIH et du droit antiterroriste. L’article 141bis dispose que ce dernier n’est plus applicable dans une situation de conflit armé régie par le DIH. En conséquence, si les volontaires internationaux sont des individus participants à un conflit, domaine de compétence du jus in bello, alors ce dernier leur est applicable. Malgré le développement d’une rhétorique antiterroriste contre le phénomène, il semble qu’en droit belge le statut juridique applicable aux « combattants étrangers » provienne du droit international humanitaire lorsqu’ils participent à un conflit. Ainsi, un certain équilibre se dégage autour de l’article 141bis organisant les relations entre les deux corpus juridiques. Mais, comme nous allons le voir, cet équilibre est en pratique remis en cause.

C’est alors l’étude de la confrontation entre l’article 141bis du Code pénal belge et le phénomène des « combattants étrangers » que nous proposons dans cet article. 18 Une telle étude pouvant s’avérer particulièrement vaste, procédons à quelques limitations.

9 Rapport du Comité spécial pour l’élaboration d’une Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des mercenaires, Assemblée générale des nations unies, Documents officiels : 36ème session, Supplément n°43, A/36/43, § 75, p. 26. Back
10 Pour plus d’informations à ce sujet, voir l’étude très complète : D. Malet, Foreign Fighters: Transnational Identity in Civil Conflicts (Oxford University Press, 2013) 264 p. Back
11 G. Pecout, « Pour une lecture méditerranéenne et transnationale du Risorgimento », Revue d’histoire du XIXe siècle. Société d’histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle, N°44, septembre 2012, pp. 41-43. Back
12 Ensemble des règles établissant l’interdit, l’autorisé, et les modalités d’assistance aux populations en période de conflit ; E. David, Principes de droit des conflits armés (Bruxelles, Bruylant, 2012, 5e éd.) pp. 40-41. Back
13 Ces individus étaient nécessairement qualifiés de combattants (au sens large) ou de personnes civiles ; voir E. David, Mercenaires et volontaires internationaux en droit des gens, supra note 2, pp. 370-431. Back
14 « Combattants étrangers en Syrie et en Irak », Rapport de la Commission des questions politiques et de la démocratie, Assemblée Parlementaire, Conseil de l’Europe, Doc. 13937, 8 janvier 2016, pp. 1-2. Back
15 Nous serons amenés à voir ultérieurement dans ce travail qu’il existe des exceptions qui seront utiles à notre réflexion, voir infra Deuxième Partie, Deuxième Chapitre, II. La jurisprudence sur le PKK : illustration des positions idéologiques dans ces décisions. Back
16 T. Hegghammer, supra note 6, p. 55. Back
17 Voir B. Boutin et al., « The Foreign Fighters Phenomenon in the European Union: Profiles, Threats and Policies », Terrorism and Counter-Terrorism Studies, ICCT Research paper, Report, April 2016, p. 3. Back
18 Notons que cet article constitue un condensé des recherches doctorales de l’auteur, réduites pour les besoins de cette publication. Back


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Pour commencer, puisque ce sont eux qui ont posé problème dans la jurisprudence belge, objet d’étude de cet article, nous nous intéresserons ici uniquement aux « combattants étrangers » impliqués dans les conflits armés syrien et irakien. Et plus particulièrement au sein des groupes État islamique (EI), Jabhat Al-Nusra 19 , la Katiba al-Muhajirin, Majlis Shura al-Mujahidin et le Partiya Karkerên Kurdistan (PKK), ainsi que plus largement la mouvance Al-Qaida.

Ensuite, précisons qu’il n’est pas ici question de jus ad bellum, ni de légalité de la prise d’arme par les « combattants étrangers ». Pas plus que nous porterons un jugement de valeur sur les causes défendues par les « terroristes », sur la nécessité de les poursuivre et de les condamner. Il ne s’agira que d’analyser les règles applicables à leurs activités armées, leur mise en œuvre, et de constater si la jurisprudence applique correctement les textes en vigueur.

Pour ce faire, dans un objectif de neutralité, nous suivons une approche positiviste : quelles règles ? quels critères d’application ? quelles conséquences pratiques ? Nous souhaitons ainsi clarifier la situation des différents corpus juridiques applicables au phénomène. Ceci afin de dégager ensuite un statut juridique autonome. À cette fin, nous avons examiné le matériau suivant :

(a) Nous nous intéressons principalement aux infractions terroristes telles qu’édictées par le code pénal belge : définition de ces infractions (article 137), éléments du groupement terroriste (article 139), participation et direction de ces groupements (article 140). Enfin évidemment nous nous attarderons sur l’article 141bis.

Nous nous sommes également intéressés aux travaux préparatoires menant à l’adoption de ces articles, ainsi qu’à la doctrine. Enfin, nous avons analysé les évolutions législatives, politiques et judiciaires, concernant les « combattants étrangers ». De même, nous avons travaillé sur toute la jurisprudence belge publiquement accessible concernant les affaires relatives au terrorisme et/ou aux « combattants étrangers » belges. Vingt-deux affaires ont alors pu être analysées. 20

(b) Concernant le droit international et régional, nous avons porté notre recherche principalement sur les déclarations, les prises de position publique, les rapports officiels ainsi que les textes qui ont été adoptés en vue de prendre en compte les « combattants étrangers » par les Nations Unies (NU), l’Union européenne (UE) et le Conseil de l’Europe (CE). Dans ce travail, nous nous concentrons, pour des

19 Nouvelle appellation depuis 2016 mais les jurisprudences étudiées employant l’ancienne version, nous la préfèrerons ici pour des raisons de clarté. Back
20 Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire Groupe Islamiste Combattant Marocain , Jugement, 16 février 2006 ; Cour d'Appel de Bruxelles, Affaire Groupe Islamiste Combattant Marocain , Arrêt, 15 septembre 2006 ; Cour d'Appel de Bruxelles, Affaire Groupe Islamiste Combattant Marocain , Arrêt, 19 janvier 2007 ; Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire Filière irakienne , Jugement, 10 janvier 2008 ; Cour d'Appel de Bruxelles, Affaire Filière irakienne , Arrêt, 26 juin 2008 ; Cour d'Appel de Bruxelles, Affaire DHKP-C , Arrêt, 23 décembre 2009 ; Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire EI Aroud et consorts – Cellule AI Qaida et Waziristân , Jugement, 10 mai 2010 ; Cour d'Appel de Bruxelles, Affaire EI Aroud et consorts – Cellule AI Qaida et Waziristân, Arrêt, 1 décembre 2010 ; Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire Filière irakienne – AI Qaeda en Irak , Jugement, 16 février 2011 ; Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire Groupe Islamiste Combattant Marocain , Jugement, 12 octobre 2011 ; Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire Tabich, Ayachi et consorts – Cellule AI Qaida de recrutement , Jugement, 25 juin 2012 ; Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire Ladri – Filière somalienne Al-abab , Jugement, 7 novembre 2012 ; Cour d'appel de Bruxelles, Affaire Tabich, Ayachi et consorts – Cellule AI Qaida de recrutement , Arrêt, 21 février 2013 ; Cour d’Appel de Bruxelles, Affaire Ladri – Filière somalienne Al-Shabab , Arrêt, 27 juin 2013 ; Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire Bouhali Zriouil Fouad – Appui à Al Qaida , Jugement, 14 mai 2014 ; Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire Benomari et consorts – Filière somalienne Al-Shabab , Jugement, 21 mai 2014 ; Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire Benomari et consorts – Filière somalienne Al-Shabab , Jugement, 14 octobre 2014 ; Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium , Jugement, 11 février 2015 ; Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Maatouch et consorts – Filière syrienne , Jugement, 18 mai 2015 ; Cour d’Appel de Bruxelles, Affaire Benomari et consorts – Filière somalienne Al-Shabab , Arrêt, 28 mai 2015 ; Tribunal de Première Instance de Liège, Affaire Mansour-Muratovic – Filière syrienne , Jugement, 19 juin 2015 ; Tribunal de Première Instance de Liège, Affaire Idrisov-Ousmanov – Filière syrienne , Jugement, 19 juin 2015 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts – Filière syrienne , Jugement, 29 juillet 2015 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts – Filière syrienne , Jugement, 6 novembre 2015 ; Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire Poncelet et consorts – Filière syrienne , Jugement, 25 novembre 2015 ; Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire Denis et consorts – Filière syrienne , Jugement, 22 janvier 2016 ; Tribunal Correctionnel de Bruxelles, Affaire Hammou Addassa – Filière syrienne , Jugement, 22 janvier 2016 ; Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium , Arrêt, 27 janvier 2016 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Aberkan et consorts – Filière syrienne , Jugement, 27 janvier 2016 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Filière syrienne , Jugement, 29 janvier 2016 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire PKK , Jugement 3 novembre 2016. Back


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raisons de place, sur l’analyse des textes majeurs et fondateurs de la lutte contre le phénomène, témoignant du choix par les autorités compétentes de la voie antiterroriste.

Enfin, c’est le droit international humanitaire dans sa totalité (textes primaires, commentaires, doctrine et jurisprudence) que nous avons dû utiliser, l’article 141bis du code pénal y conditionnant sa mise en œuvre.

(c) Pour terminer, il a été nécessaire de trouver le plus d’informations possible sur les groupes qui ont fait l’objet de cette étude. Ainsi, nous avons recueilli des éléments auprès de sources variées : témoignages, livres, rapports étatiques, rapport d’organisations non gouvernementales ou encore rapports d’organisations internationales. Nous avons également examiné la presse sur les changements et évolutions du phénomène.

C’est de l’analyse de ce matériau riche, à la fois spécifique et général, que nous avons ainsi dégagé notre hypothèse de travail.

Comme nous l’évoquions, le phénomène des « combattants étrangers », alors qu’il ne dispose d’aucune définition juridique autonome, semble confronté à l’applicabilité de deux corpus juridiques. Or, afin d’éviter leur superposition, l’article 141bis du code pénal belge crée un équilibre qui nous apparait parfaitement applicable aux « combattants étrangers ». Toutefois, nous avons observé qu’en réalité la pratique jurisprudentielle en la matière va à l’encontre de cet équilibre. Ainsi nous soutenons que la répartition des compétences matérielles entre le droit international humanitaire et le droit antiterroriste, articulée autour de l’article 141bis du code pénal belge (première partie), a été bouleversée par la jurisprudence relative aux « combattants étrangers » impliqués dans les conflits armés syrien et irakien (deuxième partie). Dès lors, la réponse à cette hypothèse s’articulera ainsi :

Dans une première partie, il s’agira d’exposer en quoi, en Belgique, il faut effectivement déduire de l’article 141bis une répartition des compétences entre le droit international humanitaire et le droit antiterroriste lorsqu’il est question de réglementer les activités des « combattants étrangers ». Plus précisément, nous démontrerons que, si aujourd’hui un principe semble se dégager d’une réglementation par le droit antiterroriste, le ius in bello s’impose en réalité dans le contexte exceptionnel d’un conflit armé (Première Partie).

Ceci établi, la seconde partie pourra être pleinement consacrée à l’analyse de la mise en pratique par les juges belges de cet équilibre. Nous verrons ainsi, comment et pourquoi les tribunaux belges n’ont a priori pas suivi la répartition des compétences instaurée par l’article 141bis concernant les « combattants étrangers » en provenance de Belgique, rompant ainsi l’équilibre entre les deux corpus (Deuxième Partie).

II. Première Partie – L’équilibre entre le droit antiterroriste et le droit international humanitaire dans l’encadrement des combattants étrangers belges selon le contexte juridique

L’article 141bis du Code pénal belge dispose que le droit antiterroriste belge « ne s’applique pas aux activités des forces armées en période de conflit armé, tels que définis et régis par le droit international humanitaire » . 21 C’est ainsi que nous dégageons un équilibre entre les deux corpus, basé sur le contexte juridique. Autrement dit, le contexte de paix argue en faveur de l’application du droit antiterroriste (Premier Chapitre), et le contexte juridique exceptionnel de conflit armé justifie celle du DIH (Deuxième Chapitre). Or, d’après le résultat de nos recherches, cet équilibre semble tout à fait pertinent et justifié pour réglementer les violences des « combattants étrangers ».

21 Art. 141bis Titre I ter « Des infractions terroristes », Code Pénal Belge. Back

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1. Premier Chapitre – La prévalence du droit antiterroriste dans l’encadrement des « combattants étrangers » en période de paix
Aujourd’hui les « combattants étrangers » représentent une menace terroriste, notamment à leur retour des zones de conflit. 22 Il est effectivement à craindre qu’en dehors d’un contexte de conflit armé ces individus planifient ou coordonnent des attaques terroristes. 23 Conséquence directe de ceci, nous assistons à une fièvre législative en matière antiterroriste. 24 Ainsi, toutes les évolutions juridiques sur les « combattants étrangers » ont traité de lutte antiterrorisme ; le Ius in bello n’étant jamais évoqué. Dès lors, constater que le phénomène n’a été traité qu’à travers le prisme antiterroriste au niveau supranational n’est pas surprenant (A). De même, la Belgique s’est également inscrite dans le mouvement de répression du phénomène par la voie antiterroriste (B).
A. L’encadrement supranational des « combattants étrangers » centré sur la lutte internationale contre le terrorisme
Depuis août 2014, l’appréhension du phénomène des « combattants étrangers » est, au niveau international (1) comme au niveau européen (2) une affaire de lutte contre le terrorisme. À ces deux niveaux, c’est en faveur du droit antiterroriste que l’équilibre penche ; le DIH ne prenant a priori aucune place.

(1) Nous nous concentrerons dans cet article sur les deux textes majeurs de la lutte internationale contre le phénomène 25 : les résolutions 2170 et 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies [ci-après le Conseil de sécurité, ou CSNU]. Ces deux textes constituent, à notre avis, l’explication de la montée en puissance du droit antiterroriste dans la réglementation des « combattants étrangers ».

La résolution 2170 est centrale puisqu’elle crée la terminologie de « combattants terroristes étrangers ». 26 Ceci n’est pas anodin en ce que la lutte contre le phénomène des « combattants étrangers » est ainsi inévitablement rattachée au combat contre le terrorisme. Ainsi, « There is no doubt that foreign fighters have added a troubling dimension to this emerging phase of terrorism. » 27 Les « combattants étrangers » seraient un nouveau type de terroristes. Les qualifier de terroristes serait d’ailleurs une obligation pour les États. 28

Ensuite, cette résolution sur les combattants étrangers est expressément rattachée à toutes les résolutions du Conseil de sécurité relatives au terrorisme. 29

Enfin, la résolution 2170 « condamne le recrutement, par [des groupes] associés à Al-Qaida, de combattants terroristes étrangers dont la présence exacerbe le conflit » armé syrien. 30 Apparaît ici l’entrecroisement entre la lutte contre le terrorisme et les enjeux relatifs au contexte de conflit armé. 31 Le CSNU rappelle alors que la lutte contre les « combattants terroristes étrangers » doit se faire en

22 Rapport sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, Sénat, République Française, n°9, session ordinaire 2014-2015, 9 October 2014, p. 13 ; J. De Roy Van Zuijdewijn and E. Bakker, « Returning Western Foreign Fighters : The case of Afghanistan, Bosnia and Somalia », International Centre for Counter-Terrorism - The Hague Background Note, juin 2014, p. 1 ; J. De Roy Van Zuijdewijn, « The foreign fighters’ threat : what history can (not) tell us », Perspectives on Terrorism, Vol. 8, Issue 5, October 2014, p. 60. Back
23 C. Lister, « Returning foreign fighters: criminalization or reintegration? », Booking Doha Center, Policy Briefing, August 2015, p. 4. Back
24 B. Boutin and C. Paulussen, « From the Bataclan to Nice: A critique of France’s State of Emergency Regime », Asser Policy Brief 01, Asser Institute – Centre for International & European Law, July 2016, p. 3. Back
25 L’étude exhaustive de la réponse internationale est l’objet de recherches doctorales menées par l’auteur de cet article. Notons toutefois que les appréhensions internationales du phénomène s’inscrivent en très grande majorité dans la lutte antiterroriste. Back
26 CS Res. 2170, 15 août 2014 ; voir les discussions au Conseil de Sécurité lors de l’adoption de la Résolution 2170 : « Threats to international peace and security caused by terrorist acts » , 7242nd meeting, Security Council, United Nations, New York, Document S/PV.7242, 15 August 2014. Back
27 « Threats to international peace and security caused by terrorist acts » , 7272nd meeting, Security Council, United Nations, New York, Document S/PV.7272, 24 September 2014, p. 5 : position non contredite par les autres représentants des États présents, le procès-verbal en question témoignant au contraire d’un accord unanime sur l’inscription des combattants étrangers dans le mouvement international du terrorisme. Back
28 « Threats to international peace and security caused by terrorist acts », supra note 26, p. 4. Back
29 CS Res. 2170, supra note 26, préambule : « [r] éaffirmant ses résolutions 1267 (1999), 1373 (2001), 1618 (2005), 1624 (2005), 2083 (2012), 2129 (2013), 2133 (2014), 2161 (2014) » . Back
30 Ibid. , § 7. Back
31 A propos du même effet d’entrecroisement concernant cette fois-ci la Résolution 2178 (2014), voir notamment A. De Guttry, « The Role Played by the UN in Countering the Phenomenon of Foreign Terrorist Fighters », in A. De Guttry, F. Capone and C. Paulussen (éds.), supra note 1, p. 271. Back


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respect du droit international humanitaire. 32 Toutefois, il ressort selon nous de la terminologie et de la construction du texte que ce respect du DIH reste subordonné au droit antiterroriste. En effet, le phénomène lui-même reste sanctionné à travers ce dernier ; la nécessité de respecter le ius in bello n’est que rappelée au même titre que les droits de l’Homme et le droit des réfugiés. Le DIH ne serait pas une source dans l’encadrement du phénomène, mais seulement des règles à respecter pour les États. Ce corpus n’est d’ailleurs jamais détaillé pour connaître ses dispositions applicables au phénomène.

La résolution 2178 vient ensuite compléter cette introduction du phénomène des « combattants étrangers » dans le droit international antiterroriste. Elle affirme notamment que « pour faire pièce à la menace que représentent les combattants terroristes étrangers, il faut [leur] interdire […] de voyager » . 33 Et encore une fois cette réaction s’inscrit dans le droit international antiterroriste. Malgré la reconnaissance de leur rôle dans les conflits armés par la définition que le Conseil donne des « combattants terroristes étrangers » 34 , il ressort ici également que c’est vers le droit antiterroriste qu’il faut se tourner. En effet, même dans ce contexte c’est le « dessein de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme » 35 qui est visé.

Finalement, « the UN have considered this phenomenon under the more general headline of terrorism, almost as a specific category of terrorist groups. » 36 Au niveau international, voyager pour combattre à l’étranger dans un conflit armé est une nouvelle forme de terrorisme, impliquant le droit antiterrorisme.

Il est donc possible selon nous de conclure que l’équilibre juridique au niveau international dans l’encadrement des actes des « combattants étrangers » est en faveur du droit antiterroriste. En effet :
« within the UN framework, the correlation between foreign fighters and terrorist activities is inescapable, to the point that foreign fighters are solely addressed when linked to terrorist groups or liable to commit terrorist acts » 37.
Et ce lien entre « combattants étrangers » et antiterrorisme s’observe également au niveau institutionnel européen.

(2) De même que pour l’analyse du niveau international, la réaction européenne ne sera présentée ici que dans sa tendance majeure, par l’Union européenne et le Conseil de l’Europe 38 , à considérer le phénomène comme une question de droit antiterroriste.

Le Conseil européen, après l’adoption de la résolution 2170 du CSNU, déclare que l’UE est déterminée à la mettre en œuvre. 39 Les sites internets du Conseil européen et du Conseil de l’UE affichent notamment que les « Européens qui […] se rendent également à l'étranger pour combattre » doivent être poursuivis en vertu du droit antiterroriste de leur État. 40 Également, suite aux attentats de Charlie Hebdo 41 , les institutions européennes ont soutenu l’objectif de lutter contre la menace terroriste que représentent les « combattants étrangers ». 42

De son côté le Conseil de l’Europe construit sa réponse au phénomène des « combattants étrangers » sur la résolution 2170 du Conseil de sécurité. 43 Le texte essentiel est le Protocole additionnel à la

32 CS Res. 2170, supra note 26, p. 2, préambule ; obligation confirmée par CS Res. 2178, 24 septembre 2014, § 5. Back
33 Idem. Back
34 Ibid. , p. 2, préambule ; voir A. De Guttry, supra note 31, p. 271. Back
35 CS Res. 2178, supra note 32, p. 2, préambule. Back
36 A. De Guttry, supra note 31, p. 260. Back
37 A. De Guttry, supra note 31, p. 277. Back
38 La Belgique appartenant à ces deux ensembles, leur position sur le phénomène est importante. Back
39 Conclusion de la réunion extraordinaire du Conseil européen, Document EUCO 136/14, 30 août 2014, p. 6, §§ 17-18. Back
40 Voir site internet « consilium.europa.eu », rubrique Politique, Lutte contre le terrorisme (consulté le 8 février 2017). Back
41 « Attentat contre Charlie Hebdo », Gouvernement.fr, Actualité du Premier Ministre, République Française, 7 janvier 2017. (consulté le 14 mars 2017) Back
42 Déclaration des membres du Conseil européen, Réunion informelle des Chefs d’État ou de Gouvernement, Déclaration et observation, Doc. 56/25, Justice et Affaires intérieures, Bruxelles, 12 février 2015 ; « Combattants étrangers et combattants de retour au pays : document de réflexion », Coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme, Conseil de l’Union européenne, Doc. 15715/2/14, Bruxelles, 02 décembre 2014 ; Riga Joint Statement, Informal meeting of Justice and Home Affairs Ministers, Council of the European Union, Riga, Doc. 5855/15, 29 and 30 January 2015, p. 3. Back
43 « Terrorisme et droits de l’homme », Conseil de l’Europe, Site Internet, Dossiers thématiques, rubrique Terrorisme et droits de l’homme (consulté le 8 février 2017). Back


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Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, 44 spécifiquement adopté en réponse au phénomène. 45 Il sanctionne ainsi la participation aux activités d’un groupe terroriste, l’entraînement dans le but de réaliser des actes terroristes, le financement et l’organisation des voyages à l’étranger à des fins terroristes ; des activités pouvant concerner les « combattants étrangers ». Mais surtout, l’article 4 se concentre spécifiquement sur le fait de se « rendre à l’étranger à des fins de terrorisme » . 46 Il faut donc observer une volonté d’assurer une couverture totale par le droit antiterroriste des « combattants étrangers ». Notons d’ailleurs que le Protocole ne fait aucune référence à un contexte de conflit armé.

Pour conclure, aujourd’hui c’est le droit antiterroriste qui, au niveau supranational, est mis en avant dans la lutte contre les « combattants étrangers ».

Quand est-il alors de la situation juridique belge ?
B. Le droit antiterroriste belge contre les « combattants étrangers »
Afin d’appréhender le flux important de « combattants étrangers » en provenance de Belgique 47 , les autorités se sont également saisies du droit antiterroriste, laissant de côté toutes considérations relatives au DIH. Ceci s’illustrant par le développement de nouvelles dispositions antiterroristes spécialement prévues pour ce phénomène (i), et par l’applicabilité du droit antiterroriste belge préexistant (ii).
i. Les développements belges favorables à un encadrement antiterroriste
Les nouveautés majeures du côté des autorités belges renforçant la place centrale accordée au droit antiterroriste sont de deux ordres :

(1) Le premier point concerne l’évolution de la politique de prévention du terrorisme, de sorte qu’elle englobe désormais le phénomène. Pour commencer, l’expression « combattants terroristes étrangers » est largement reprise en Belgique 48 , ceci intégrant que la lutte contre les « combattants étrangers » est une question de lutte contre le terrorisme. De plus, les termes « combattants étrangers », « combattants terroristes étrangers », combattants djihadistes et terroristes sont employés indistinctement pour désigner les mêmes individus. 49 Finalement, aucune distinction n’est faite entre un « combattant étranger » et un terroriste.

Ensuite, c’est l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace, officiellement chargé de la lutte antiterroriste 50 , qui « est chargé de la mise à jour de la liste » 51 des « combattants terroristes étrangers » en vérifiant que l’individu en question « est effectivement un foreign fighter » 52.

44 Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, Conseil de l’Europe, STCE n°217, Riga, 20 octobre 2015, voir notamment les article 2, 3, 4, 5 et 6 de ce protocole. Back
45 Préambule au Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, supra note 44 ; Déclaration conjointe sur la lutte contre le terrorisme entre le ministre Didier Reynders, Président sortant du Comité des Ministres, le ministre Igor Crnadak, Président entrant du Comité des Ministres et M. Thorbjørn Jagland, Secrétait Général du Conseil de l’Europe, Conseil de l’Europe, Doc. Decl-19.05.2015F, 19 mai 2015. Back
46 Art. 4, Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, supra note 44. Back
47 « Foreign Fighters – Police », Commissions réunies de la Justice et de l’Intérieur, des Affaires Générales et de la Fonction Publique, 2 décembre 2015, p. 17 ; « Près de 500 combattants belges en Syrie et en Irak », LeSoir.be, 16 octobre 2015. Back
48 Parfois dans sa version « foreign terrorist fighters » ; Voir par exemple : « 12 mesures : nouvelle circulaire relative à l’approche des combattants terroristes étrangers » , Communiqué de Presse, Jan Jambon, Vice-Premier Ministre et ministre de la sécurité et de l’intérieur, 27 août 2015 ; « Foreign Fighters – Police », supra note 47 ; Proposition de Loi modifiant la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police en vue de permettre une transmission efficace des données relatives aux combattants terroristes étrangers, Chambre des Représentants de Belgique, 3e Session de la 54e Législature, DOC54 1711/001, 12 mars 2016 ; Rapport d’activités 2015, Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité, Royaume de Belgique, 16 septembre 2016, p. 44. Back
49 Rapport d’activités 2015, Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité, Royaume de Belgique, 16 septembre 2016, p. 23. Back
50 Site internet du Comité permanent de Contrôle des services de renseignement et de sécurité, voir rubrique Home, onglet Qu'est-ce que l'Organe de coordination pour l'analyse de la menace ? et « Foreign Fighters – Police », supra note 47, pp. 15 et 18. Back
51 « Foreign Fighters – Police », supra note 47, p. 18. Back
52 Ibid. , p. 15. Back


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(2) Le second point concerne l’adoption de la Loi visant à renforcer la lutte contre le terrorisme du 20 juillet 2015, adoptée expressément pour adapter le corpus antiterroriste belge aux « combattants étrangers » et se conformer à la résolution 2178. 53 Ainsi, se rendre à l’étranger dans un but terroriste est désormais une infraction terroriste autonome régit par le nouvel article 140sexies du code pénal. 54 Or, l’article 137 du même code définit comme terroriste le fait notamment de « gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d'un pays » 55; de fait, ne s’agit-il pas là inévitablement du but et de l’effet de tout acte de participation à un conflit armé ? Un « combattant étranger » participant à un conflit armé pourrait donc toujours être considéré par le code pénal belge comme un « combattant terroriste étranger ». La lutte contre le phénomène des « combattants étrangers » est donc clairement de la compétence exclusive du droit antiterroriste, le DIH n’est jamais évoqué.

Finalement, les récents développements intègrent donc dans la lutte contre le terrorisme celle contre les « combattants étrangers ». Et cela est d’autant plus effectif que les dispositions antiterroristes belges préexistantes semblent parfaitement opposables aux activités de ces individus.
ii. L’applicabilité du droit antiterroriste belge aux combattants étrangers
Avant même l’adoption de la Loi du 20 juillet 2015, « [l] ’arsenal répressif belge comporte des incriminations pénales en suffisance pour » sanctionner les « combattants étrangers ». 56 En effet, tant leurs actes (1) que leurs objectifs (2) peuvent constituer des infractions terroristes en droit pénal belge.

(1) Prenons, par exemple, les actes reprochés à des groupes impliqués dans les conflits armés syrien et irakien et comptant dans leurs rangs des « combattants étrangers ». Ils seraient notamment responsables de meurtres, destructions, attentats à l’explosif, prises d’otages et autres formes de violence. 57 Or, ces actes peuvent constituer l’élément matériel d’une infraction terroriste tel que défini aux paragraphes 2 et 3 de l’article 137 du code pénal :
§ 2. Constitue, aux conditions prévues au § 1er, une infraction terroriste : […] l'homicide volontaire ou les coups et blessures volontaires […] ; la prise d'otage […] ; l'enlèvement […] ; la destruction ou la dégradation massives […] ; […] la fabrication, l'emmagasinage, la détention, le débit, le transport et l'emploi des produits explosifs […] ; […] la tentative, au sens des articles 51 à 53, de commettre les délits vises au présent paragraphe.

§ 3. Constitue également, aux conditions prévues au § 1er, une infraction terroriste : la destruction ou la dégradation massives, ou la provocation d'une inondation d'une infrastructure, d'un système de transport, d'une propriété publique ou privée, ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines ou de produire des pertes économiques considérables, […] ; la capture d'autres moyens de transport que ceux visés aux 5° et 6° du §2 ; la fabrication, la possession, l'acquisition, le transport ou la fourniture d'armes nucléaires ou chimiques, l'utilisation d'armes nucléaires, biologiques ou chimiques, ainsi que la recherche et le développement d'armes chimiques ; la libération de substances dangereuses ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines ; la perturbation ou l'interruption de l'approvisionnement en eau, en électricité ou en toute autre ressource naturelle fondamentale ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines ; la menace de réaliser l'une des infractions énumérée au § 2 ou au présent paragraphe. 58
Dès lors, le choix belge du droit antiterroriste contre les « combattants étrangers » serait a priori pertinent.

(2) Selon l’article 137 du code pénal, un acte est terroriste lorsqu’il a pour but (a) d’intimider gravement une population, ou (b) de contraindre des pouvoirs publics ou une organisation internationale à

53 Projet de loi visant à renforcer la lutte contre le terrorisme, Chambre des Représentants de Belgique, 2e Session de la 54e Législature, DOC54 1198/001, 22 juin 2015, pp. 4-5. Back
54 Art. 2 de la Loi visant à renforcer la lutte contre le terrorisme, 20 juillet 2015. Back
55 Art. 137 §1er, Titre Iter « Des infractions terroristes », Code pénal belge. Back
56 A. Masser, « L’arsenal de droit pénal belge applicable aux combattants européens en Syrie », in A. Jacobs et D. Flore (dir.), Les combattants européens en Syrie (Liège, L’Harmattan, 2015) p. 178. Back
57 Rapport A/HRC/24/46, « Rapport de la commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne » , Conseil des droits de l’Homme, Assemblée Générale, Nations Unies, 16 août 2013, pp. 9-12 ; Report A/HRC/28/18, « The human rights situation in Iraq in the light of abuses committed by the so-called Islamic State in Iraq and the Levant and associated groups » , High Commissioner for Human Rights, United Nations, 13 mars 2015, pp. 5-13 ; Tribunal Correctionnel d’Anvers, Jugement, 11 février 2015, feuillet 35 ; Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, Arrêt, 27 janvier 2016, p. 56 ; « Syrie : meurtre délibéré de civils par l’État islamique », Human Rights Watch, 7 juillet 2015 ; nous ne listerons pas ici tous les autres rapports et articles de presse faisant état de tels actes commis par des combattants étrangers. Back
58 Art. 137 § 2 et § 3, Titre Iter « Des infractions terroristes », Code pénal belge. Back


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accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte, ou (c) de déstabiliser gravement ou détruire les structures fondamentales d’un pays ou d’une organisation internationale. 59

Or, ces objectifs peuvent vraisemblablement être reconnus aux « combattants étrangers » et à des groupes tels que l’EI. 60 Ainsi par exemple, il ne serait pas contestable « que le groupement de l’État islamique […] revendique l’établissement par les armes d’un régime politique islamiste en Syrie et dans les pays environnants » . 61

Finalement, si les actes et les objectifs poursuivis par les « combattants étrangers » semblent constituer des infractions terroristes, il est important de noter qu’ils sont à bien des égards similaires à ceux commis par une force armée dans un conflit armé. Pour exemple, contentons-nous d’évoquer l’attaque contre des forces armées adverses (potentielles atteintes à la vie et destruction notamment à l’explosif) dans le but de déstabiliser le gouvernement ennemi. Ces éléments constitutifs d’une infraction terroriste pourraient également représenter des actes autorisés dans un but légitime en Droit des conflits armés. En effet, des forces armées engagées dans les combats n’ont-elles pas justement comme objectif de « contraindre des pouvoirs publics […] à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte » ou de « gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales […] d’un pays » ? Dès lors : sont-elles coupables d’infractions terroristes ?

Pour prévenir de telles interrogations, le Législateur belge a prévu une clause d’exclusion du droit antiterroriste lorsque des forces armées sont en jeu : l’article 141bis du code pénal. Or, nous allons voir que si tout semblait indiquer que les « combattants étrangers » devaient n’être qu’une question de droit antiterroriste, dans le contexte particulier d’un conflit armé le DIH est vraisemblablement l’unique corpus compétent en réalité pour réglementer leurs activités.
2. Deuxième Chapitre – L’exclusivité du ius in bello dans l’encadrement des « combattants étrangers » en conflit armé
En Belgique, un régime d’exception au sein du droit antiterroriste permet d’écarter son applicabilité au profit du droit international humanitaire du fait de la particularité juridique du contexte de conflit armé. De fait, les « combattants étrangers » agissant dans un tel contexte, la soumission du phénomène au droit antiterroriste doit être remise en question. Ainsi, nous nous intéresserons ici à l’applicabilité de l’article 141bis à ces individus (A). Ensuite, nous analyserons la pertinence d’une telle exclusion dans le cas du phénomène des « combattants étrangers » (B). Enfin, nous soulignerons que, contrairement à une idée communément véhiculée, reconnaître aux « combattants étrangers » une immunité contre les poursuites pour terrorisme en droit belge n’est nullement synonyme d’impunité pour les crimes que ces individus pourraient commettre ; le DIH prévoyant sa propre criminalisation du terrorisme (C).
A. Le contexte de conflit armé justifiant l’application de l’article 141bis et du DIH aux « combattants étrangers »
L’article 141bis est central en ce qu’il provoque la non applicabilité du droit antiterroriste, dans sa totalité, lorsqu’il s’agit de membres d’une force armée partie à un conflit armé, tel que défini par le DIH. 62 Présentons alors succinctement les trois critères de mise en œuvre de cet article, au regard du Droit des conflits armés, et non du droit belge.

(1) La première condition à remplir est d’agir en tant que force armée ; notion entendue au sens large en DIH. Il peut donc s’agir d’une force armée étatique mais également non étatique (n’appartenant et ne représentant pas un État). Pour cela, la force armée non étatique doit constituer un « groupe armé

59 Art. 137 §1er, Titre Iter « Des infractions terroristes », Code pénal belge. Back
60 Voir par exemple : Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, Jugement, 11 février 2015, feuillets 41-40 ; Tribunal de Première Instance de Liège, Affaire Mansour-Muratovic, Jugement, 19 juin 2015, p. 3 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Jugement, 06 novembre 2015, feuillets 9 et 13 ; Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Maatouch et consorts, Jugement, 18 mai 2015, p. 7 ; H. Manna, Daech – L’État de la barbarie, (Paris, Les points sur les i, 2014) 151 p et L. Daerden, « Brussels attacks: Isis threatens to bring more ‘dark days’ to Europe and countries fighting its militants », Independent.co.uk, 22 mars 2016. Back
61 Tribunal de Première Instance de Liège, Affaire Mansour-Muratovic, Jugement, 19 juin 2015, p. 3. Back
62 Art. 141bis, Code Pénal Belge. Back


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organisé » 63 : exercer une forme de pouvoir public, être identifiable et être responsable 64 ; posséder une « organisation suffisante […] pour concevoir et mener des opérations militaires continues et concertées [et] pour imposer une discipline au nom d’une autorité de fait. » 65 Cette discipline impliquant alors que des règles pourraient être imposées et qu’un commandement est identifiable pour engager sa responsabilité en cas de violations. 66 La jurisprudence internationale a complété cette définition en développant un faisceau d’indices. 67 Ainsi, il ne faut pas chercher une organisation strictement identique et aussi exigeante que celle d’une force armée étatique. 68 Un dernier point à préciser est que le non-respect du DIH, des droits de l’Homme et la perpétration d’actes terroristes ne constituent pas des critères excluant la qualité de groupe armé organisé. 69

En conclusion, a priori rien n’empêche des « combattants étrangers » de constituer ou d’appartenir à une force armée non étatique partie à un conflit armé, et donc de remplir ce premier critère. Si leur groupement a une organisation suffisante, il sera considéré comme une force armée, bénéficiant des effets de l’article 141bis. Mais nous verrons que c’est notamment la qualité de groupe armé organisé qui a posé problème dans la jurisprudence belge.

(2) La seconde condition est qu’il existe un conflit armé dans lequel la force armée, dont le « combattant étranger » est membre, soit une partie belligérante. Un conflit armé existe chaque fois que des affrontements d’une intensité suffisante opposent des forces armées organisées : - soit c’est un conflit armé international (CAI) lorsqu’il oppose les forces armées de deux ou plusieurs États 70 ; - soit il oppose les forces armées d’un État à un ou plusieurs groupes armés, ou plusieurs groupes armés entre eux, et il s’agira d’un conflit armé non-international (CANI) 71 . Le législateur belge a expressément prévu l’applicabilité de l’article 141bis aussi bien aux CAI qu’aux CANI. 72 Dès lors, si les éléments factuels attestent de l’implication d’un groupe non étatique comprenant des « combattants étrangers » dans un conflit armé, interne comme international, alors tout indique que le second critère de mise en œuvre de l’article 141bis peut être rempli. Ce qui a pourtant également posé problème dans la jurisprudence belge.

D’ailleurs, le Conseil de sécurité estime que les « combattants étrangers » exacerbent, intensifient, compliquent et prolongent le conflit syrien, notamment 73 en se rendant auteurs de nombreuses attaques 74 . C’est justement par leurs activités dites terroristes qu’ils participent à un conflit. 75

63 Art. 1 § 1, Protocole Additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (PA II), 8 juin 1977 ; Art. 8 § 2, f), Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, Rome, 17 juillet 1998. Back
64 E. David, supra note 12, pp. 137-138. Back
65 C. Pilloud, J. De Preux et al., Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 (Genève, CICR, Martinus Nijhoff Publishers, 1986), § 4463, p. 1376. Back
66 Voir notamment à ce propos : C. Pilloud, J. De Preux et al., supra note 65, § 4470, p. 1377 ; E. David, supra note 12, pp. 137-140 et CPI, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Chambre Préliminaire I, Décision sur la confirmation des charges, ICC-01/04-01/06, 29 janvier 2007, § 232. Back
67 Voir notamment : TPIY, Chambre de Première Instance, Le Procureur c. Fatmir Limaj, Haradin Bala et Isak Musliu, IT-03-66-T, Jugement, 30 novembre 2005, §§ 90, 95, 100, 103, 108, 112, 119, 123, 125 et 129 ; TPIY, Chambre de Première Instance, Le Procureur c. Ramush Haradinaj, Idriz Balaj et Lahi Brahimaj, IT-04-84-T, Jugement, 3 avril 2008, § 60 et TPIY, Chambre de Première Instance, Le Procureur c. Ljube Boskoski et Johan Tarčulovski, IT-04-82-T, Jugement, 10 juillet 2008, § 268, 284-285, 288-289. Back
68 E. David, supra note 12, p. 138. Back
69 TPIY, Affaire Boskoski-Tarčulovski, supra note 67, § 205. Back
70 J. Pictet, Les Conventions de Genève du 12 août 1949 – Commentaire I - La Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, (Genève, CICR, 1952) p. 34. Back
71 Art. 3 commun aux quatre CG, 12 août 1949 ; TPIY, Le Procureur c. Duško Tadić, Arrêt Relatif à l'Appel de la Défense concernant l'Exception Préjudicielle d’Incompétence, IT-94-1-AR, 2 octobre 1995, § 70. Back
72 Projet de loi relatif aux infractions terroristes, Chambre des Représentants, 1e Session de la 51e législature, Doc 51 0258/001, 6 octobre 2003, pp. 15-16 ; l’article final 141bis provient de la proposition d’article 136septies qui n’avait fait l’objet d’aucun commentaire lors des discussion, voir à ce propos : Avis 34.362/4 de la Section de Législation du Conseil d’État ; Projet de loi relatif aux infractions terroristes, Doc 51, 0258/004, 7 novembre 2003, p. 23 et Compte Rendu Intégral avec Compte rendu analytique traduit des interventions, Séance Plénière, Chambre des Représentants de Belgique, CRIV 51 PLEN 020, 13 novembre 2003, p. 41. Back
73 Voir notamment : CS Res 2170, supra note 26, § 7 et CS Res 2178, supra note 32, préambule p. 2. Back
74 Voir entre autres : Report A/HRC/28/18, supra note 57 et Rapport A/HRC/24/46, supra note 57. Back
75 CS Res 2178, supra note 32, § 1. Back


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(3) Enfin, la troisième condition exige que l’acte reproché s’inscrive effectivement dans le cadre de ce conflit armé. Dès lors, il faudra au cas par cas s’attarder sur ce nexus, mais a priori si l’acte terroriste poursuivi est commis dans ce cadre, alors la troisième condition est remplie par les « combattants étrangers » agissant au sein d’un groupe armé organisé partie à un conflit armé non international.

Pour résumer, l’article 141bis semble effectivement applicable au phénomène. Évaluer le respect de ses critères de mise en œuvre devra être fait au cas par cas. Ainsi, en droit belge, dans un contexte de conflit armé, le DIH s’applique aux activités de « combattants étrangers ».

En guise de conclusion, notons que cette clause d’exclusivité totale au profit du DIH 76 créée par cet article n’est pas une singularité. Il s’agit en réalité de la transposition 77 en droit belge d’une disposition de l’Union européenne. 78 De surcroît, des clauses similaires existent dans des textes internationaux de lutte contre le terrorisme. 79 La présence de la clause dans des termes identiques, au sein de textes régionaux et internationaux, est un indice favorable à la reconnaissance de sa nécessité. En effet, celle-ci permet d’éviter tout risque de conflit entre le droit antiterroriste et le DIH qui pourraient engendrer des conséquences juridiques contradictoires. 80
B. L’importance de reconnaître l’applicabilité du droit des conflits armés aux « combattants étrangers »
Le droit des conflits armés bénéficie d’une caractéristique essentielle : une mise en œuvre objective. Il est fondé sur le constat que le recours aux armes n’a pu être évité, et que des règles pour le limiter doivent être appliquées. Pour s’assurer de leur applicabilité, des notions conditionnées à des critères objectifs ont été élaborées.

Ainsi, l’application du DIH n’est plus conditionné à la reconnaissance de l’état de guerre par les autorités, mais à l’évaluation de critères objectifs concernant une situation de fait. Il faudra alors parler de conflit armé et non plus de guerre. 81 La conséquence directe étant son applicabilité automatique.

De fait, les créateurs du Ius in bello ont cherché à écarter toutes considérations idéologiques. Les raisons de combattre n’entrent pas en compte. Le DIH n’a pas pour objectif d’interdire la guerre, mais d’interdire ce qui n’est pas strictement nécessaire à la victoire militaire. 82 Finalement, l’illégitimité de la cause défendue par l’une des parties et les méthodes employées pour mener la lutte ne peuvent pas conditionner l’applicabilité du DIH. 83 Peu importe qu’un État refuse de reconnaître la qualité de groupe armé organisé à la partie adverse pour lui préférer la qualification de rebelle, guérilleros, criminelle, ou encore … terroriste. Et ce dernier point est particulièrement intéressant. Quoi qu’il arrive, si une partie remplit les critères d’une force armée, alors ses actes sont réglementés par le droit des conflits armés. 84

76 C. Deprez et I. Wittorski, « Des combattants qui n’en sont pas vraiment : les Européens partis se battre en Syrie et en Irak vus par le droit international humanitaire », in A. Jacobs et D. Flore (dir.), supra note 56, p. 48. Back
77 Projet de loi relatif aux infractions terroristes, Chambre des Représentants, 1e Session de la 51e législature, Doc 51 0258/001, 6 octobre 2003, pp. 5-8. Back
78 Décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme, Conseil de l’Union Européenne, N°2002/475/JAI, 13 juin 2002, préambule, considérant 11 ; voir maintenant Directive (UE) 2017/541 relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil et modifiant la décision 2005/671/JAI du Conseil, 15 mars 2017, considérant 37. Back
79 Art. 19 § 1, Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, 15 décembre 1997 ; Art. 4 § 2, Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, 13 avril 2005 et Art. 26 § 5, Convention européenne pour la prévention du terrorisme, Conseil de l’Europe, 16 mai 2005. Back
80 Voir notamment la réflexion sur cette question dans P. Klein, Le droit international à l’épreuve du terrorisme, Vol. 321, Académie de Droit International de La Haye, 2007, p. 244 ; C. Deprez et I. Wittorksi in A. Jacobs et D. Flore (dir.), supra note 56, p. 48. Back
81 J. Pictet, supra note 70 , art. 2, al. 1er, p. 34 ; E. David, supra note 12, pp. 116 et 119 et suivantes et CICR, « Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains », 32ème Conférence international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève, Décembre 2015, p. 9. Back
82 Art. 35, Protocole Additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (PA I), 8 juin 1977 et C. Pilloud, J. De Preux et al., supra note 65, § 1389, p. 394. Back
83 O. Venet, « Infractions terroristes et droit humanitaire : l’article 141bis du Code pénal », Journal des Tribunaux, n° 6387, mars 2010, p. 170. Back
84 M. Sassòli, « La "guerre contre le terrorisme", le droit international humanitaire et le statut de prisonnier de guerre », The Canadian Yearbook of international law, Vol. 39, 2001, p. 19. Back


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Or, à l’inverse du DIH, le droit antiterroriste est éminemment subjectif. 85 L’ennemi d’un État est souvent qualifié de « terroriste », l’infamie de la qualification servant à justifier la plus grande sévérité à son égard. 86 Cette appellation a donc pour résultat une qualification aléatoire et incertaine : le terroriste des uns est combattant de la liberté des autres. Inévitablement, si le caractère terroriste conditionnait l’application du DIH, alors elle ne serait jamais possible, les conflits armés ne seraient plus réglementés et les protections humanitaires s’effriteraient. Or, la jurisprudence belge a effectivement avancé que le DIH n’était pas applicable aux « combattants étrangers » de l’État islamique parce qu’ils « ne s’occupent pas d’actions militaires au sens du droit humanitaire international mais d’actes terroristes ». 87 Les activités terroristes étant utilisées pour argumenter l’inapplicabilité du DIH.

Pour finir, accepter d’appliquer le droit international humanitaire lorsque ses conditions de mise en œuvre sont remplies participe à sa promotion et renforce l’efficacité des actions humanitaires. L’irrespect du DIH « heighten the sense of injustice and impunity, which fuels radicalization and the spread of terrorism. » 88 En refusant de reconnaître aux « combattants étrangers » le bénéfice d’un corpus juridique pourtant applicable, cela « met à mal l’effectivité du droit humanitaire en privant les groupes rebelles de tout incitant à le respecter – quel avantage l’EI aurait-il à se plier aux principes de DIH dès lors que, même en respectant ceux-ci à la lettre, ses membres pourront faire l’objet de poursuites pénales » . 89 Choisir de librement qualifier les groupes armés d’un conflit selon les alliances est un obstacle supplémentaire à la négociation et au retour à la paix 90 ; tous les « combattants étrangers » ne sont pas des djihadistes, il en existait avant l’explosion du terrorisme international et certains rejoignent au contraire des groupes opposés aux djihadistes. 91 De fait, les moudjahidin d’Oussama Ben Laden ont été alliés du Bloc de l’Ouest durant la Guerre Froide.

Nous croyons que c’est de son application égale à tous les belligérants que le DIH tire sa force. En effet, dès lors que les critères sont factuellement remplis « il est essentiel pour la survie du droit international humanitaire et conforme à sa lettre et à son esprit de reconnaître son applicabilité juridique » . 92 De la même manière qu’il a été appliqué aux soldats allemands durant la seconde guerre mondiale. 93

Nous identifions donc que l’article 141bis peut et doit être appliqué aux volontaires internationaux. D’autant plus que cela n’immunise qu’à l’encontre des poursuites pour terrorisme en droit belge. En effet, le DIH alors applicable propose une criminalisation du terrorisme dans ces contextes qui nous semble particulièrement opportune pour réglementer les activités de ces individus.
C. L’interdiction par le ius in bello du terrorisme : une réglementation plus adaptée au phénomène des « combattants étrangers »
L’interdiction du terrorisme en conflit armé trouve sa justification dans les principes directeurs du DIH. Ainsi, les attaques contre la population civile violent le principe de distinction. 94 De même, les

85 S. Krähenmann, « The Obligations under International Law of the Foreign Fighter’s State of Nationality or Habitual Residence, State of Transit and State of Destination », in in A. De Guttry, F. Capone and C. Paulussen (éds.), supra note 1, pp. 37-39 ; A. De Guttry, « The Role Played by the UN in Countering the Phenomenon of Foreign Terrorist Fighters », supra note 31, p. 66 et J. Pictet, Les Conventions de Genève du 12 août 1949 – Commentaire IV - La Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (Genève, CICR, Genève,1956) p. 60. Back
86 P. Klein, supra note 80, p. 246 et M. Scheinin, « Back to post-9/11 panic? Security Council resolution on foreign terrorist fighters », Just Security, 13 September 2014. Back
87 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillets 35-36 ; ils mènent « des activités terroristes (décapitions, attentats-suicides, meurtres sectaires, torture, et pillages généralisés), qui déstabilisent la région et sèment l’insécurité au sein de la population » , voir Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 56. Back
88 « Threats to international peace and security caused by terrorist acts », 7272nd meeting, see the speech of His Excellency Mr. Xavier Bettel, Prime Minister of the Grand Duchy of Luxembourg, Security Council, United Nations, New York, Document S/PV.7272, 24 September 2014, p. 16. Back
89 C. Deprez et I. Wittorski, supra note 76, p. 73 ; voir également : M. Sassòli, « La définition du terrorisme et le droit international humanitaire », Revue Québécoise de Droit International Humanitaire, 2007, p. 38 et CICR, 32ème Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, supra note 81, p. 23. Back
90 CICR, 32ème Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, supra note 81, p. 23 et « Défis contemporains posés au droit international humanitaire – terrorisme », CICR, 29 octobre 2010. Back
91 H. Tuck, T. Silverman and C. Smalley, supra note 5, 55 p. Back
92 M. Sassòli, supra note 84, p. 14. Back
93 Idem. Back
94 Arts. 48, 51 § 2 et 52 § 2 PA I et Art. 13 § 2 PA II. Back


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principes de nécessité militaire 95 et de proportionnalité 96 sont violés lorsque le but principal d’une attaque est d’instaurer un climat de terreur et d’insécurité parmi la population civile.

Ceci dit, il ne fait aucun doute que l’interdiction du terrorisme lui-même par le DIH a valeur coutumière et engage la responsabilité pénale de l’auteur. 97 Est alors terroriste l’acte qui « sans présenter de valeur militaire importante, [a] pour but principal de répandre la terreur parmi la population civile. L’interdiction [concerne les actes] qui provoquent intentionnellement la terreur […], à l’exclusions d’autres actes de violence tels que les bombardements [d’objectifs militaires] qui ont pourtant également des effets terrorisants » . 98

Cette définition pragmatique nous semble adaptée au cas des « combattants étrangers ». Elle permet d’interdire le terrorisme intentionnel comme méthode de combat tout en reconnaissant la réalité de l’effet terrorisant de toutes violences guerrières. 99 Quelle chance d’être respectée pourrait avoir l’interdiction pour des groupes armés ayant pris les armes d’attaquer le pouvoir et les institutions publiques ? Tout en sachant que l’interdiction générale du recours à la violence contre l’État a déjà été violée. Utiliser l’intention de renverser un gouvernement pour qualifier un groupe armée de terroriste non soumis au DIH serait irrationnel, puisque ce renversement sera l’objectif de tout groupe armé en conflit armé, et précisément ce que le DIH doit encadrer. Il nous paraît donc essentiel de rappeler et réaffirmer la compétence exclusive du DIH en période de conflit armé ; seul corpus juridique adapté à ce contexte et capable de faire face à tous ses enjeux. Finalement, nous rejoignons l’affirmation du CICR selon laquelle :
« Quand une situation de violence équivaut à un conflit armé, il n’y a pas grand intérêt à qualifier ces actes de « terroristes », car ils constituent déjà des crimes de guerre ». 100
Pour conclure sur cette première partie, nous avons donc d’abord observé que la communauté internationale et la Belgique ont progressivement intégré le phénomène des « combattants étrangers » à la lutte contre le terrorisme, notamment à travers la nouvelle notion de « combattants terroristes étrangers ».

Toutefois, dans un second temps, nous avons pris ensuite connaissance des enjeux relatifs à l’article 141bis du code pénal belge et à l’importance de reconnaître l’applicabilité du DIH aux volontaires internationaux. L’idée directrice étant alors que le Ius in bello, en plus d’être obligatoire, serait plus adapté pour réglementer le terrorisme de ces individus en conflit armé.

Finalement, un équilibre entre les deux corpus juridiques dans l’encadrement du phénomène s’est organisé autour de cet article 141bis. Il y aurait vraisemblablement deux catégories de « combattant étranger » : - ceux en période de conflit armé soumis au DIH ; - et ceux en dehors d’un conflit, soumis au droit antiterroriste.

Toutefois, nous allons voir qu’en pratique cette répartition des compétences entre les corpus juridiques n’a pas été correctement appliquée par la jurisprudence belge.

95 Art. 35 PA I et C. Pilloud, J. De Preux et al., supra note 65, § 1389, p. 394. Back
96 Arts. 51 § 5, b) et 57 PA I et J. Henckaerts et L. Doswald-Beck, Droit International Humanitaire Coutumier, Volume 1 : Règles (Bruxelles, Bruylant, CICR, 2006) p. 65. Back
97 Art. 33, Convention de Genève IV, 12 août 1949 ; H.-P. Gasser, « Acts of terror, "terrorism" and international humanitarian law », International Review of the Red Cross, Vol. 84, n°847, September 2002, pp. 549 et 560-562 ; « La pertinence du droit international humanitaire dans le contexte du terrorisme », CICR, FAQ, 1 janvier 2011 ; « Défis contemporains posés au droit international humanitaire – terrorisme », CICR, 29 octobre 2010 ; Art. 51 § 2, PA I ; Art. 4 § 2 al. d) et Art. 13 § 2, PA II ; J. Henckaerts et L. Doswald-Beck, supra note 96, p. 10 ; Art. 4 al. 1, d) du Statut du TPIR, Nations Unies, 8 novembre 1994 ; Art. 3 al. 1, d) du Statut du TSSL, 16 janvier 2002 ; TPIY, Chambre de Première Instance, Le Procureur c. Stanislav Galić, IT-98-29-T, Jugement et Opinion, 5 décembre 2003, §§ 65, 91-137 et 208-597 et TPIY, Chambre d’Appel, Le Procureur c. Stanislav Galić, IT-98-29-A, Arrêt, 30 novembre 2006, §§ 86-90, 93, 99 et 103-104. Back
98 M. Deyra, Le Droit dans la guerre (Paris, Gualino, 2009) p. 100 et H.-P. Gasser, supra note 97, pp. 556-557. Back
99 TPIY, Le Procureur c. Stanislav Galić, supra note 97, § 103 ; J.-F. Flauss (dir.), Les nouvelles frontières du droit international humanitaire (Limal, Anthemis, 2004) p. 54 et A. Barzon and O. Greco, « Fighting abroad – The foreign fighters phenomenon in the scope of International Law, the "Blowback Effect" and national counter-terrorism measures », Social Science Research Network, 13 novembre 2015, p. 5. Back
100 « Défis contemporains posés au droit international humanitaire – terrorisme », CICR, 29 octobre 2010. Back


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III. Deuxième Partie – La rupture d’équilibre par la jurisprudence belge sur les « combattants étrangers »

La justice belge a été saisie à cinq reprises de la question de l’applicabilité de l’article 141bis. Quatre affaires concernent des prévenus en lien avec des groupes tels que l’État islamique et Jabhat Al-Nusra ; 101 la cinquième concerne le groupement PKK. 102 Ces cinq affaires sont primordiales pour analyser la pratique de l’équilibre dégagé précédemment. Plus précisément, selon nous ces cinq affaires témoignent d’une pratique contraire à la répartition théorique des compétences entre droit antiterroriste et DIH.

D’après nous, cette rupture d’équilibre résulte, d’une part, d’une mauvaise utilisation des critères de mise en œuvre du droit international humanitaire (Premier Chapitre), et, d’autre part, de l’entrée en jeu de considérations idéologiques, contrairement au DIH, ayant menée à son exclusion (Deuxième Chapitre).
1. Premier Chapitre – L’utilisation erronée des critères de mise en œuvre du droit international humanitaire
À première vue, le travail des juges dans les cinq affaires sur l’article 141bis est exhaustif. La totalité du DIH est saisie : les textes primaires, la coutume, la doctrine et la jurisprudence internationale. 103 Cependant, ces décisions sont pour le moins surprenantes. Effectivement, selon nous, le choix d’écarter le droit international humanitaire résulte d’une contextualisation juridique incomplète (A) et d’une évaluation insuffisante de l’organisation des groupes (B). Finalement, il nous semble difficile de comprendre dans ces décisions s’il y a juridiquement conflit armé, et quelles en seraient les parties belligérantes.
A. La contextualisation incertaine d’un conflit armé impliquant les groupes des prévenus
Comme dit précédemment, un conflit armé existe dès lors que des forces armées organisées s’affrontent. L’identification de ces dernières est donc nécessaire pour ensuite affirmer l’existence ou non d’un conflit armé. Cependant, cet ordre est renversé dans la jurisprudence qui affirme d’abord l’existence d’un conflit armé interne en Syrie , 104 voire international , 105 sans avoir vérifié au préalable que les groupes identifiés comme belligérants étaient suffisamment organisés pour être juridiquement qualifiés de forces armées. Or, c’est précisément cette qualité de belligérant qui sera ensuite rejetée par la jurisprudence , 106 alors qu’elle était nécessaire pour l’existence d’un conflit en premier lieu. Cette erreur de déroulement de l’analyse est identique dans toutes les affaires. 107 Finalement, ces décisions nous indiquent qu’un conflit armé soumis au DIH existe en Syrie, mais sans identifier les parties soumises à ce corpus. Notons rapidement que malgré l’implication de l’État islamique dans le CANI irakien , 108 la jurisprudence belge n’a jamais contextualisé le cas de l’Irak ; dévoilant encore une lacune.

101 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20 et Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Aberkan et consorts, supra note 20. Back
102 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire PKK, supra note 20. Back
103 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillet 33 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, pp. 29-31 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillets 9-10 et Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, pp. 55-56. Back
104 V. Koutroulis, « Le jugement du Tribunal correctionnel d’Anvers dans l’affaire dite "Sharia 4 Belgium" et l’article 141bis du Code pénal belge », in A. Jacobs et D. Flore (dir.), supra note 56, pp. 98-99. Back
105 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillet 32. Back
106 Voir infra. Back
107 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, pp. 25-29 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillets 6-9 ; Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, pp. 54-58 et Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Aberkan et consorts, supra note 20, feuillets 5-9. Back
108 Acamédie de Genève de droit international humanitaire et de droits humains, « Non-international armed conflicts in Iraq », disponible sur rulac.org, mise à jour le 2 février 2017. Back


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Cette maladresse est d’autant plus troublante que les informations publiquement accessibles abondent toutes dans le sens de l’existence d’un conflit armé en Syrie, auquel les groupes des prévenus seraient parties. 109 L’analyse de l’intensité des affrontements qu’ils mènent, l’un des critères du conflit armé, a systématiquement fait défaut dans la jurisprudence belge.

Enfin, la défense avançant l’existence d’un conflit armé sur le territoire belge avec le groupe du prévenu partie et destinataire de l’article 141bis, les juges notent de manière expéditive qu’il n’y a tout simplement pas de conflit en Belgique , 110 et que ceci n’est tout bonnement « pas contestable » . 111 Pourtant, l’inexistence d’un conflit ne peut résulter que d’une analyse factuelle des critères objectifs préétablis, qui ne seront jamais évalués par le juge belge.

Si le refus arbitraire de contextualiser la situation en Belgique et l’approximation dans la qualification des conflits syriens et irakiens sont problématiques, ils le sont d’autant plus que l’analyse de l’organisation suffisante des groupes en jeu a aussi été lacunaire.
B. L’analyse insuffisante et erronée de l’organisation des groupes
Pour le juge belge, « quelle que soit la nature des groupes combattant en Syrie et du conflit s’y déroulant » , aucun des prévenus n’a rejoint une force armée partie à un conflit armé. 112 Or, selon nous cette affirmation s’appuie par erreur sur la nature clandestine des groupes (i), sur leur caractère terroriste (ii), et sur l’ignorance d’un trop grand nombre d’éléments concrets (iii).
i. La clandestinité comme obstacle douteux à la qualité de force armée organisée
Pour les Tribunaux belges les groupes des prévenus ne disposent pas d’une organisation suffisante parce qu’ils seraient clandestins : dirigeants non identifiables, structure inconnue des membres eux-mêmes, pas de port ouvert des armes et de signes distinctifs (exigés en DIH). 113 Cependant, ce raisonnement comporte trois erreurs majeures.

Premièrement, le TPIY a affirmé qu’agir dans une certaine clandestinité n’est pas un obstacle en soi à la qualité de force armée organisée. 114 Ce qu’avait d’ailleurs relevé les tribunaux belges : un groupe clandestin « n’en était pas moins capable de coordonner l’action de ses forces » , élément de preuve de l’organisation suffisante pour qualifier une force armée. 115 Il est donc surprenant que les juges belges estiment ensuite que la clandestinité soit disqualifiante.

Deuxièmement, la clandestinité résulterait de l’utilisation de noms de guerre empêchant l’identification de supérieurs hiérarchiques pénalement responsables. 116 Cependant, ne pas connaître l’identité légale n’est pas un argument valable 117 tant qu’il est possible d’associer une personne à un nom, même faux.

109 Liste non-exhaustive : « Syria : ICRC and Syrian Arab Red Crescent maintain aid effort amid increased fighting », CICR, Operational Update, 17 July 2012 ; T.D. Gill, « Classifying the Conflict in Syria », International Law Studies, U.S. Naval War College, Vol. 92, 2016, pp. 353-380 ; Letter dated 25 June 2014 from the Permanent Representative of Iraq to the United Nations addressed to the Secretary-General, S/2014/440, 25 June 2014 et Académie de Genève de droit international humanitaire et de droits humains, « Non-international armed conflicts in Syrie », disponible sur rulac.org, mis à jour le 10 avril 2017. Back
110 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillet 32 et Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 54. Back
111 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, p. 34 et Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Aberkan et consorts, supra note 20, feuillet 9. Back
112 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, p. 33 et Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillet 14. Back
113 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, pp. 32-33 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillets 13-14 et Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 58. Back
114 TPIY, Le Procureur c. Fatmir Limaj, Haradin Bala et Isak Musliu, IT-03-66-T, supra note 67, § 46. Back
115 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, p. 30 et Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillet 11. Back
116 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillets 35-36 et Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, pp. 57-58. Back
117 V. Koutroulis, supra note 104, p. 100 ; notons à ce propos que le TPIY a condamné des individus qui étaient connus sous un pseudonyme, voir par exemple : Duško Tadic alias « Dule », Affaire n°IT-94-1-T, 7 mai 1997 ; Mladen Naletilić alias « Tuta » et Vinko Martinović alias « Stela », Affaire n°IT-98-34-A, 3 mai 2006 et Zdravko Mucić alias « Pavo » et Esad Landzo alias « Zenga », Affaire n°IT-96-21-A, 20 février 2001. Back


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De surcroît, cet argumentaire est immédiatement contredit par le travail des juges qui vont ensuite procéder eux-mêmes à l’identification des dirigeants et membres des groupes, afin de les condamner pour terrorisme. 118

Troisièmement, les Tribunaux relèvent que la clandestinité empêche le port ouvert des armes et l’uniforme. Or les juges vont ensuite condamner ces mêmes individus pour terrorisme en prouvant leurs participations à des activités terroristes via des photos et vidéos où ils portent des uniformes militaires et des armes de guerre lors d’attaques sous le drapeau ou avec les insignes de leur groupe. 119 Finalement, y a-t-il ou non port d’armes et d’uniformes ? Cela ne peut pas changer selon que l’on prouve l’infraction terroriste, ou la qualité de force armée.

Finalement, les juges ont avancé que les groupes en cause ne pouvaient pas être des forces armées car agissant dans la clandestinité, notamment en ce que la structure interne et l’identité des chefs ne seraient pas connues. Or, cet argument ne tient pas dès lors qu’opérer en secret et caché de son adversaire n’est pas un obstacle en soit à l’application du DIH, et qu’en réalité les tribunaux constatent eux-mêmes par la suite que les identités sont bien connues.
ii. L’incompatibilité entre la nature terroriste des groupes et la capacité à respecter le DIH : l’erreur d’interprétation du critère
Comme l’indique la jurisprudence belge, la capacité d’appliquer le DIH est un critère de la qualité de force armée. 120 Or, pour conclure « indiscutablement que les membres de ces groupes ne sont pas capables et ne veulent pas être capables de respecter le droit humanitaire international » , 121 la jurisprudence soulève que ces groupes pillent, prennent en otage, torturent, violent et attaquent des civils, en violation du ius in bello. 122 La violation du DIH serait dans leur nature. 123

Cependant, la capacité a été confondue ici avec la volonté, les juges affirmant eux-mêmes que ces groupes « ne veulent pas être capables de respecter » . 124 La volonté et la capacité ne sont pas la même chose ; il est possible d’avoir la capacité de faire quelque chose, sans en avoir la volonté. Ainsi, pour être partie à un conflit, un groupe armé doit – simplement – disposer de « l’infrastructure minimale indispensable » 125 pour que des règles soient imposées en interne, et notamment les règles du droit des conflits armés. C’est l’infrastructure suffisante et non l’application effective qui entre en jeu 126 ; même en cas de violation systématique du DIH. 127 L’incapacité d’un groupe de respecter ce droit ne peut donc pas être déduite de la nature terroriste de ses méthodes et objectifs. 128

118 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillets 35, 49-50 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, pp. 26, 59, 112 et 130 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillets 7 et 14 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Aberkan et consorts, supra note 20, feuillet 9 et Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, pp. 48 et 63 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Jugement, 29 janvier 2016, feuillet 60. Back
119 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillet 56 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, pp. 28, 66, 90, 107, 116, 125 et 126 et Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillets 17 et 52. Back
120 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillet 12 ; voir C. Pilloud, J. De Preux et al., supra note 65, § 4470, pp. 1377-1378. Back
121 Souligné dans le texte : Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillets 36-37. Back
122 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillets 35-36 et Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 56. Back
123 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillet 36. Back
124 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillets 36-37 : souligné dans le texte. Back
125 C. Pilloud, J. De Preux et al., supra note 65, § 4470, p. 1377. Back
126 J.-F. Flauss (dir.), supra note 99, pp. 49-50. Back
127 TPIY, Affaire Boskoski-Tarčulovski, supra note 67, paras. 205 et 280. Back
128 O. Venet, supra note 83, p. 171 et M. Sassòli, supra note 84, p. 14. Back


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PAGE 17 D’ailleurs, si c’est l’existence d’un système de discipline interne qui doit être recherchée alors, contrairement à ce qu’affirment les Tribunaux belges , 129 de nombreux éléments 130 permettent d’affirmer que les groupes armés concernés sont soumis à un tel système. En effet, pour condamner les prévenus pour terrorisme, il sera ensuite démontré qu’ils font partie d’un groupe structuré dont les membres sont soumis à un émir qui a un pouvoir de décision. 131

De manière surprenante, la Cour d’Appel d’Anvers note que l’État Islamique dispose d’un « tribunal sharia » chargé de sanctionner ses membres. Cependant, la Cour affirme arbitrairement que cela ne peut constituer un organe disciplinaire. 132

Les critères de qualification d’un groupe armé organisé effectivement analysés ont donc été mal employé. Or, cette faiblesse dans l’analyse est renforcée par le fait qu’un grand nombre éléments utiles n’a pas été évalué par les tribunaux, alors que le faire aurait permis d’arriver à une conclusion différente.
iii. L’analyse trop faible du faisceau d’indices pour évaluer l’organisation desdits groupes
Il ne s’agira dans ce paragraphe que d’évoquer quelques éléments qui n’ont pas été pris en compte, alors qu’ils auraient pu conduire à une conclusion différente.

Le premier élément à relever traite des entraînements dispensés par les groupes. Utilisés pour prouver l’existence de groupes terroristes, ils sont totalement écartés lors de l’évaluation de l’organisation , 133 alors même qu’ils font parties du faisceau d’indices . 134 D’ailleurs, au sein de l’EI par exemple, il s’agirait d’entrainements militaires « de niveau professionnel ». 135

L’importante capacité des groupes incriminés à recruter , 136 attestée par les juridictions belges, aurait également dû être prise en compte. Mais cet élément n’a été utilisé que pour permettre une condamnation en droit antiterroriste. 137

Les juges auraient également dû s’intéresser à la capacité d’exercer un contrôle territorial. Des informations extérieures auraient été utiles ici. Par exemple, un rapport des Nations Unies 138 met en lumière la capacité de l’EI et de Jabhat al-Nusra à mettre en place leur propre administration sur de vastes zones. 139 L’État islamique a contrôlé jusqu’à 78 000 km2 de territoire, 5 à 8 millions d’habitants. 140 Comment un groupe désorganisé et clandestin pourrait assurer son emprise sur un tel territoire et une population si importante ?

129 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillets 14 et 35-36 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, p. 33 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillets 13-14 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Aberkan et consorts, supra note 20, feuillets 6 et 9 et Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, pp. 56-57. Back
130 Voir par exemple : K. Arif, Rapport d’information sur les moyens de Daech, Rapport à l’Assemblée Nationale de France, n°3964, 13 juin 2016, p. 78. Back
131 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillet 40 ; Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Maatouch et consorts – Filière syrienne, supra note 20, p. 11 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, pp. 77, 80, 164 et 168 et Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 61. Back
132 Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 57. Back
133 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillets 43 et 45 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, pp. 66, 107, 116 et 126 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillet 50 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Aberkan et consorts, supra note 20, feuillet 37 ; Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 48 et Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Filière syrienne, supra note 20, feuillet 97. Back
134 TPIY, Affaire Haradinaj, supra note 67, § 60. Back
135 Rapport sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, Sénat, République Française, n°9, session ordinaire 2014-2015, 9 octobre 2014, p. 13. Back
136 K. Arif, supra note 130, pp. 61-63 et C. Phillips, « Guerre civile en Syrie : la diversité de l’opposition au régime syrien », Institut Européen de la Méditerranée, 2013, p. 29. Back
137 Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 56. Back
138 Rapport A/HRC/24/46, supra note 57, p. 6, § 33. Back
139 Voir à ce propos l’analyse de la qualification du conflit syrien dans V. Koutroulis, « The fight against the Islamic State and Jus in Bello », Leiden Journal of International Law, 2016, 29, p. 835. Back
140 K. Arif, supra note 130, p. 70 et Letter from the Permanent Representative of Iraq to the United Nations, S/2014/440, supra note 109. Back


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Enfin, évoquons rapidement la capacité d’élaborer des stratégies militaires efficaces , 141 mais également celle de communiquer et de s’exprimer d’une seule voix 142 – alors que l’élément est relevé pour permettre une condamnation en droit antiterroriste 143 –, ou encore la capacité de s’approvisionner en armes de guerre . 144

Sans devoir aller plus loin, nous soutenons que ces éléments permettent déjà de remettre en cause les décisions jurisprudentielles ayant refusé d’appliquer l’article 141bis au groupe armé comptant dans ses rangs des « combattants étrangers ». 145

Or, loin de vouloir accabler le juge national belge pour son travail sur le DIH, nous pensons qu’en réalité la mauvaise interprétation des critères applicables résulte très certainement de considérations idéologiques, dont les jurisprudences n’ont pu se détacher.
2. Deuxième Chapitre – La rupture d’équilibre par la place accordée à l’idéologie pour rejeter le ius in bello
Si les critères de mise en œuvre du droit international humanitaire ont été mal interprétés dans la jurisprudence belge, nous estimons qu’une explication peut venir de la place accordée à l’idéologie dans l’analyse des juges. Nous déduisons cette idée de la construction des arguments jurisprudentiels (A), parfaitement illustrés par l’étonnante reconnaissance de l’applicabilité de l’article 141bis au Partiya Karkerên Kurdistan (PKK) (B).
A. Les considérations idéologiques centrales dans la jurisprudence belge
La place de l’idéologie dans le raisonnement des juges belges se remarque d’abord par le vocable employé pour contextualiser les violences. La terminologie utilisée atteste d’une vision profondément antiterroriste, marquée par la nécessité du XXIème siècle de lutter fermement contre le radicalisme et le fondamentalisme islamiste. Lors de la contextualisation chaque évaluation des critères du DIH est toujours accompagnée d’adjectifs criminalisant, délégitimant et décrédibilisant les prévenus. Ceci expliquant en partie pourquoi, malgré de nombreux indices favorables à une reconnaissance de la qualité de groupe armé organisé, il en a été décidé autrement.

Bien que les enjeux politiques, religieux, ethniques ou culturels ne puissent entrer en jeu dans l’applicabilité du Ius in bello, les jurisprudences martèlent systématiquement : - que les groupes des prévenus sont impliqués dans une « rébellion à caractère djihadiste » en marge d’une contestation « laïque » ou modérée 146 ; - qu’il s’agit de groupes internationalement qualifiés de terroristes 147 car tous « salafistes djihadistes » 148 ; - qu’il est « révélateur » de constater que les prévenus n’ont pas rejoint l’Armée Syrienne Libre qui combat contre la tyrannie 149 ; - que l’intention « n’était pas de se rendre en Syrie pour y combattre un régime sanguinaire et y restaurer les libertés publiques, mais pour s’y livrer au djihad […] afin d’imposer par la force et la terreur un régime salafiste sunnite régi par la

141 K. Arif, supra note 130, p. 60. Back
142 Le Tribunal a notamment relevé dans l’Affaire Zerkani et consorts que cette capacité avait été un élément important pour le TPIY afin de reconnaître la qualité de force armée à l’Armée de Libération du Kosovo, voir Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, p. 30. Back
143 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, p. 134 et Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 49. Back
144 K. Arif, supra note 130, pp. 48-49. Back
145 V. Kotroulis, supra note 104, p. 100. Back
146 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, p. 26 et Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillets 6-7. Back
147 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, pp. 27-28 et Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillet 8. Back
148 Notons d’ailleurs qu’à ce stade des décisions, la preuve du caractère terroriste de ces groupes n’a pourtant pas encore été faite, mais cela n’empêche pas les juges de les présenter ainsi ; voir notamment Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, p. 28 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillet 9 et Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 56. Back
149 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, pp. 28-29 et Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillets 8-9. Back


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charia » 150 ; - que leur ennemi n’est pas « un opposant « classique » » mais « le « chiite » ou le « kouffar » » . 151 Tant de considérations qui n’ont pas lieu d’être en matière d’analyse d’applicabilité du Ius in bello, et qui pourtant sont indéniablement présentes. Il y aurait, d’un côté, l’Armée Syrienne Libre impliquée dans une rébellion modérée contre la tyrannie, et, de l’autre, les groupes terroristes criminels et fanatiques impliqués dans une lutte armée djihadiste violente.

Il est d’ailleurs particulièrement révélateur sur la place de l’idéologie de constater qu’après avoir énoncé le DIH, le juge belge introduit son paragraphe « 3/ Application en l’espèce » en insistant encore une fois sur le fait que « les groupes rejoints 152 […] sont ou ont été affiliés à Al-Qaïda, prônent l’instauration d’un État islamique, régit par la sharia, sur le territoire de différents États et n’hésitent pas, pour ce faire, à commettre des attentats suicides, des enlèvements avec demande de rançon, … » . 153 Alors que ces éléments n’ont aucune place dans l’application en l’espèce du droit international humanitaire justement. Ainsi, « les faits, commis par [ces groupes] ne peuvent, en aucun cas, être considérées comme des actes des forces/groupes armés organisés dans un conflit armé » . 154

Finalement, ces propos, en parallèle d’une mise en œuvre lacunaire des critères du DIH, conduisent à se demander si en conclusion ce ne seraient pas la nature terroriste des actes et le but poursuivi par ces groupes qui ont guidé la prise de décision. Partialité qui se retrouve dans l’utilisation de certains arguments pour condamner en droit antiterroriste, mais passés sous silence lorsqu’il s’agissait de ius in bello. 155 Qui plus est, il y a un véritable déséquilibre entre le travail destiné à prouver l’activité terroriste – une centaine de pages – et celui accordé au droit international humanitaire – une dizaine de pages.

Cette éventualité d’une position idéologique dans le traitement jurisprudentiel des étrangers membres de groupes comme l’EI et Jabhat Al-Nusra se trouve renforcée par les propos et l’argumentaire d’une décision concernant le PKK.
B. La jurisprudence sur le PKK : illustration des positions idéologiques dans ces décisions
Le 3 novembre 2016, la justice belge a rendu une décision dans laquelle l’article 141bis a été appliqué au PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan. Les membres d’une cellule belge de ce groupe étaient alors poursuivis pour terrorisme et participation aux activités d’un groupe terroriste ; notamment pour avoir recruté et entraîné des mineurs au combat. 156

Les arguments et le raisonnement du Tribunal sont alors en parfaite contradiction avec les jurisprudences précédentes :

(1) L’historique du mouvement est retracé pour constater son organisation en une branche militaire et une politique. 157 Son objectif, à travers la violence, et notamment le terrorisme 158 , est l’obtention de l’autonomie pour la communauté kurde. 159 L’analyse du groupe n’est donc pas restreinte à ses actes terroristes, mais également à ses revendications politiques, et à ses organes. Or, ce travail n’a pas été fait pour les décisions précédentes. Pourtant des éléments similaires auraient été constatés.

150 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillets 36-37 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, p. 28 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillet 9 et Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 56. Back
151 Tribunal Correctionnel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, feuillet 37 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, p. 28 ; Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillet 9 et Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 56. Back
152 En gras dans le texte. Back
153 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, p. 32 et Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillet 13. Back
154 Cour d’Appel d’Anvers, Affaire Sharia4Belgium, supra note 20, p. 56. Back
155 Voir supra Partie 2, Chapitre 1. Back
156 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire PKK, supra note 20. Back
157 Ibid., p. 10. Back
158 E. Picard, « Les Kurdes et l’autodétermination. Une problématique légitime à l’épreuve de dynamiques sociales », Revue française de science politique, Vol. 49, N°3, 1999, p. 428. Back
159 Idem. Back


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(2) Contrairement aux décisions précédentes, l’évaluation de l’existence d’un conflit n’est pas limitée au territoire de la Turquie, mais étendue au territoire belge et au territoire irakien. 160 Ici le fait que les activités se déroulent sur le territoire belge n’a pas d’office exclu l’applicabilité de l’article 141bis.

(3) Le Tribunal note l’importance des affrontements ainsi que l’utilisation d’armes lourdes (armes anti-aériennes et attaques d’artillerie) 161 ; ce qui n’a pas été fait pour les autres décisions.

(4) Enfin, le Tribunal soutient l’importance de s’informer auprès d’organismes faisant autorité dans le processus de qualification d’un conflit armé. Il note ainsi l’intérêt du CICR pour les affrontements du PKK contre l’armée turque, qu’il qualifie de conflit armé. 162 Travail non effectué pour les autres groupes.

Un travail complet de contextualisation et de qualification en conformité avec l’ensemble du DIH a donc été produit pour le PKK. Alors pourquoi le même travail n’a-t-il pas été effectué pour les autres groupes ? Un élément de réponse pourrait se trouver dans deux derniers arguments :
  • D’une part, l’argument de l’inscription du PKK sur les listes internationales du terrorisme 163 a été rejeté, contrairement au cas de l’EI, 164 car celles-ci seraient trop subjectives. 165
  • D’autre part, essentiel pour justifier la qualité de groupe organisé du PKK : il serait selon le Tribunal un acteur majeur dans la lutte contre … l’État islamique. 166 Il est donc l’allié de la coalition internationale et de la Belgique. Du moins, le PKK et la Belgique ont le même ennemi.
En résumé, les groupes État Islamique, Al-Nusra, Majlis Shura al-Mujahidin et Katiba al Mujahidin ne peuvent obtenir la qualité de force armée, car ils sont inscrits sur les listes des groupes terroristes, parce qu’ils sont nécessairement clandestins et déstructurés, qu’ils violent les droits de l’homme et le DIH qu’ils n’ont donc pas la capacité de respecter, et qu’ils ne combattent pas contre un régime sanguinaire pour restaurer les libertés publiques, mais pour le djihad au nom du salafisme.

A l’opposé, le PKK est un groupe armé organisé, malgré le fait que pour la « Turquie, Daech est désormais présenté comme une menace terroriste de même niveau que le PKK » , et que Jabhat al-Nusra semble « bénéficier d’une certaine indifférence voire d’une relative bienveillance » 167 par ce même État. Et quand bien même les Kurdes seraient également responsables d’exactions contraires au DIH et aux Droits de l’homme , 168 ceci n’est a priori plus une preuve pour le juge belge de l’incapacité d’un groupe à respecter le DIH.

En conclusion, une analyse plus poussée sur l’importance des enjeux idéologiques dans la jurisprudence belge sur les « combattants étrangers » serait opportune. Car il serait possible d’y conclure, dans le cadre de conflits armés liés à la « guerre contre le terrorisme », un retour à la théorie de la guerre juste où le DIH ne serait applicable qu’à certaines parties belligérantes. 169 Or, c’est justement ce que permettait

160 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire PKK, supra note 20, p. 11. Back
161 Idem. Back
162 Idem. Back
163 Voir Annexe, « 2. Groupes et entités », point 17, Décision du Conseil 2009/62/CE, Union Européenne, Journal officiel, 29 janvier 2009 ; voir également « Le PKK : quel terrorisme ? », Club du millénaire et Institut de Relations Internationales et Stratégiques, Avril 2013, 12 p. Back
164 Voir notamment Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Zerkani et consorts, supra note 20, p. 27 et Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire Boukouis Hamza et consorts, supra note 20, feuillet 8. Back
165 Tribunal de Première Instance de Bruxelles, Affaire PKK, supra note 20, p. 10. Back
166 Ibid., p. 11. Back
167 K. Arif, supra note 130, p. 33. Back
168 Rapport A/HRC/24/46, supra note 57, p. 10 ; F. Abrahams et al., Under Kurdish Rule: Abuses in PYD-run Enclaves of Syria (New York, Human Rights Watch, 2014) ; « Syrie : Des abus sont commis dans les enclaves sous contrôle kurde », Human Rights Watch, 19 June 2014 ; « Iraq: Armed Groups Using Child Soldiers », Human Rights Watch, 22 December 2016; « Double attentat meurtrier à Istanbul : la revendication kurde », lesechos.fr, 11 décembre 2016 ; « Turquie : un groupe radical kurde revendique le double attentat d’Istanbul », France24, 11 décembre 2016 et « Le PKK revendique le meurtre de policiers turcs », LeFigaro.fr, 22 juillet 2015. Back
169 Le bénéfice du DIH serait conditionné à la seule défense d’une cause juste. Ce que ne serait évidemment pas toute cause défendue par des entités terroristes ; voir notamment sur le DIH face à la théorie de la guerre juste : H. Grotius, Le droit de la guerre et de la paix (Paris, 1867) ; E. de Vattel, Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et des Souverains (Carnegie Institution of Washington, Vol. 2, 1916) et F. Bugnion, « Guerre juste, guerre d’agression et droit international humanitaire », Revue Internationale de la Croix-Rouge, Vol. 84, N°847, Septembre 2002, pp. 524 et 529./ Back


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d’éviter l’article 141bis : tout le DIH, et seulement le DIH, s’applique en période de conflit armé, et ce à toutes les parties au conflit. Une application au cas par cas déstabiliserait la réglementation des conflits armés et serait dangereuse vis-à-vis de la protection des populations civiles victimes des affrontements.

IV. Conclusion Générale

Par cet article nous avons constaté que le droit international humanitaire devait être appliqué aux « combattants étrangers » et à leurs groupes lorsque leurs activités s’inscrivaient dans le contexte juridique d’un conflit armé, mais que la jurisprudence belge avait toutefois rompu avec cette idée. Nous proposons alors de conclure en évoquant l’un des risques à suivre une telle jurisprudence ; cela concerne la règlementation de la conduite des hostilités dans ces conflits.

L’existence d’un conflit armé permet aux membres des forces armées étatiques de bénéficier du privilège du combattant. 170 Ils ne peuvent donc notamment pas être poursuivis pour avoir tué un combattant de la partie adverse. 171 Seules leurs violations du DIH seront condamnables. Or, ne pas reconnaître la qualité de force armée partie à un conflit armé aux groupes comme l’État Islamique dans le contexte syrien aura des conséquences sur ce qui constitue ou non une violation du Ius in bello.

En DIH, la conduite des hostilités est notamment régie par le principe de distinction dont la violation constitue un crime de guerre. 172 Ce principe n’autorise que les attaques visant des combattants , 173 des objectifs militaires légitimes, les attaques directes contre les civils 174 étant interdites. Il n’existe qu’une seule exception au principe : « Les personnes civiles sont protégées contre les attaques, sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation. » 175

Un civil participe aux hostilités et peut directement faire l’objet d’une attaque si trois éléments cumulatifs sont remplis 176 : (1) sa participation atteint un seuil de nuisance suffisant 177 ; (2) l’acte supposé de participation a un lien direct avec la nuisance ; et (3) l’acte doit favoriser une partie au détriment de l’autre. De plus, la perte de l’immunité contre les attaques ne dure que pendant la stricte participation aux hostilités. 178 Enfin, l’analyse de cette participation est individuelle ; c’est-à-dire qu’un groupe n’est pas une cible légitime si un seul de ses membres remplit les critères.

En conséquence si, comme le concluent les jurisprudences étudiées, lesdits groupes ne sont pas des forces armées, alors la légalité des bombardements par la coalition de ces groupes en Syrie et en Irak doit être remise en cause. 179 Sans la qualité de force armée, ils ne peuvent pas être pris pour cible en tant que tels ; la participation directe aux hostilités doit être évaluée pour chaque membre avant chaque attaque. Or, sous ce statut de participation directe, ne serait plus légitime l’attaque d’un transport d’armes d’un point de stockage A au point de stockage B, lorsque ce point B n’est pas une opération militaire en cours, car ne constituant pas une participation directe aux hostilités. 180 Ainsi, il est permis de se demander si toutes les personnes ayant fait l’objet d’attaque de la coalition constituaient effectivement des objectifs militaires légitimes au moment des opérations ? 181

170 Art. 43 Protocole Additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (PA I), 8 juin 1977. Back
171 E. David, supra note 12, p. 475. Back
172 J. Henckaerts et L. Doswald-Beck, supra note 96, pp. 3-10 et E. David, supra note 12, p. 276. Back
173 Entendu comme tout membre d’une force armé/e au sens large et E. David, supra note 12, p. 282. Back
174 Est civil tout individu non-membre d’une force armée au sens large et Règle n°5 dans J. Henckaerts et L. Doswald-Beck, supra note 96, p 23. Back
175 Ibid. , Règle n°6, p. 27. Back
176 N. Melzer, Guide interprétatif sur la notion de Participation directe aux Hostilités en Droit International Humanitaire, CICR, Genève, Octobre 2010, pp. 48-67 et E. David, supra note 12, pp. 285-286. Back
177 E. David, supra note 12, pp. 285-286. Back
178 N. Melzer, supra note 176, pp. 68-71. Back
179 « Qui participe à la coalition contre l’État islamique ? », LeMonde.fr, 15 septembre 2014. Back
180 E. David, supra note 12, p. 286. Back
181 Voir par exemple : N. Sallon, « Les forces françaises ont tué au moins 2 500 djihadistes de l’EI en Irak et Syrie », LeMonde.fr, 13 décembre 2016 ; « Syrie : les frappes françaises ont tué 30 djihadistes de Daech », LExpress.fr, 30 septembre 2015 ; « Syrie : 100 combattants d’Al-Qaïda tués par un bombardement américain », RTBFInfo, 21 janvier 2017 et « Six F16 belges s’envolent pour la Syrie et l’Irak avec plusieurs missions, dont “l’attaque de cibles qui appartiennent à Daesh” », RTLINFO.be, 27 juin 2016. Back


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Enfin, notons qu’utiliser la qualification de terroriste pour conditionner l’obtention de la qualité de force armée partie à un conflit armé aura pour conséquence directe une grande confusion sur la réglementation des hostilités dans un conflit. En effet, pour l’État qualifiant le groupe de force armée partie, le ciblé serait possible ; mais pour l’État le qualifiant de terroriste, il ne constituerait pas une cible légitime. Un même conflit se verrait alors soumis à deux régimes juridiques différents en même temps, ce qui n’est pas souhaitable. Car l’absence de règles claires et précises aggrave les violences en conflit armé. 182 À cette fin, nous croyons fermement que « la commission d’actes terroristes dans un conflit interne est, et doit rester, une question de "jus in bello", sans incidence sur l’applicabilité du droit international humanitaire. » 183
182 A.-S. Millet-Devalle (dir.), Religions et Droit International Humanitaire (Nice, Pedone, 2008) p. 18. Back
183 J.-F. Flauss (dir.), supra note 99, p. 50. Back


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